(Montréal) La « petite révolution de la réconciliation » des peuples au Québec a commencé avec Joyce Echaquan, a déclaré la coroner Géhane Kamel, en mettant le point final à l’enquête publique portant sur la mort de cette mère de famille autochtone.

Il faudra le raconter à vos enfants, a suggéré Me Kamel à Carol Dubé, le conjoint de Mme Echaquan, en livrant un « mot personnel » pour conclure les audiences de son enquête.

La veille, M. Dubé avait déploré qu’on lui ait laissé « une histoire basée sur du mensonge et des cauchemars » pour raconter à ses enfants la façon « dont leur maman nous a quittés ». Me Kamel lui a plutôt suggéré cette version.

À Joyce elle-même, elle a promis que son rapport ne serait pas complaisant, mais plutôt « honnête ».

Elle espère surtout qu’il sera « la fondation d’un pacte social » qui fera dire à tous : « plus jamais ».

Mme Echaquan est décédée le 28 septembre dernier à l’hôpital de Joliette. Peu avant sa mort, elle s’était filmée de son lit d’hôpital, agitée et souffrante, alors que deux employées l’insultaient et la dénigraient. Cette vidéo a attiré l’attention de la population qui s’est indignée et questionnée sur le traitement des Autochtones dans le système de santé québécois.

Les audiences de l’enquête publique ont débuté le 13 mai dernier et se sont terminées mercredi matin, avec les représentations des avocats de divers acteurs y ayant participé.

Leurs résumés des témoignages entendus alternaient mercredi entre douleur, exaspération et espoir.

La douleur a été vécue par les membres de la famille et les proches de Mme Echaquan qui ont été appelés à revivre, impuissants, et pendant plusieurs semaines, les derniers moments de sa vie.

L’exaspération tient au fait que cette enquête n’est pas la première qui met en lumière les inégalités de traitement que vivent les Autochtones dans le réseau de la santé : pourtant, le racisme et les préjugés y sévissent toujours.

La frustration, telle que décrit par Me Jean-François Arteau, qui représente la nation atikamekw, était notamment d’avoir entendu tout au long de l’enquête des employés de l’hôpital de Joliette dire que telle chose n’était pas de leur faute ou que telle décision relevait de quelqu’un d’autre : il a dénoncé un manque de responsabilisation, entre autres lacunes. Les rôles de chacun étaient mal définis et mal compris, a fait valoir une autre avocate.

La frustration était aussi de voir à quel point les plaintes de douleur et la condition médicale de Mme Echaquan n’ont pas été prises au sérieux.

« L’indifférence qu’on lui manifeste, c’est horrible », a lancé Me Arteau.

Dès son arrivée à l’urgence, parce qu’elle est autochtone, on la stigmatise et on l’étiquette : « junkie » ou « narcodépendante », a déploré Me Arteau. Parce qu’elle est autochtone, quand elle tombe de sa civière, on écrit au dossier : « théâtral » et on souligne qu’elle se comporte comme une enfant.

« C’est ça le racisme systémique : ça prend des raccourcis pour nous amener là où on ne devrait pas être ». L’étiquette de narcodépendance — ce qui est faux, précise-t-il — a teinté toute la suite des interventions médicales. Cela a nui aux soins, a opiné Me Rainbow Miller, l’avocate de Femmes autochtones du Québec.

Et puis, même si elle avait été narcodépendante, « on ne traite pas quelqu’un comme ça », a tranché l’avocat de la famille Echaquan, Me Patrick Martin-Ménard.

Et lorsque l’on réalise que Mme Echaquan a filmé la scène, on panique, a-t-il relaté. L’infirmière filmée, et depuis congédiée, tente d’effacer la vidéo. « On panique à tel point que Joyce a été laissée de côté. Si on avait pensé plus à Mme Echaquan plutôt que de gérer la vidéo, on aurait pu la sauver ».

Il aurait suffi de la brancher au moniteur cardiaque, puisqu’elle souffre d’une grave maladie du cœur, mais ce n’est pas fait : l’infirmière est plus préoccupée par la vidéo et la candidate à l’exercice de la profession infirmière (CEPI) n’est pas assez expérimentée pour le faire. Elle demeure sans surveillance et sous contentions physiques, jusqu’à ce qu’il soit trop tard, a poursuivi Me Martin-Ménard.

La CEPI s’est démenée pour trouver de l’aide, mais ça n’intéresse personne, a renchéri Me Arteau.

Mme Echaquan est donc transférée en réanimation tardivement, et les manœuvres échouent.

L’espoir

L’espoir est venu sous plusieurs formes : les mains tendues, notamment celles des chefs atikamekw prêts à travailler avec le CISSS de Lanaudière et l’hôpital de Joliette pour améliorer les soins et le sentiment de sécurité des leurs.

Il est aussi dans les engagements pris par la nouvelle PDG du CISSS, Maryse Poupart, qui est venue relater mardi les actions qu’elle a déjà prises et celles qu’elle promet. Un membre de la communauté atikamekw sera sur le conseil d’administration du CISSS, un commissaire aux plaintes autochtones a été ajouté à l’équipe et un deuxième agent de sécurisation culturelle sera bientôt engagé, ainsi qu’un interprète. En plus de ces travailleurs supplémentaires, c’est l’attitude de la nouvelle PDG qui a réconforté Me Kamel et qui lui donne espoir en l’avenir.

Pour marquer la fin du processus, une marche pacifique a eu lieu mercredi, à Trois-Rivières, là où ont eu lieu les audiences de la coroner.

Appelée « Justice pour Joyce : un vent de changement », la marche était une occasion pour la population de montrer son soutien à la famille de Mme Echaquan.

« C’est cette solidarité qui nous aide à mieux vivre ensemble, c’est ensemble que nous changerons notre société pour que tous puissent trouver la sérénité et l’harmonie », avait déclaré le conjoint de Mme Echaquan, Carol Dubé, avant la tenue de la marche.

Il reste à la coroner à livrer son rapport contenant toutes ses recommandations, pour qu’un décès comme celui de Joyce Echaquan ne se reproduise plus.