Je ne crois pas Denis Coderre quand il dit qu’il ne textait pas, sur cette photo floue prise à son insu, derrière son volant. Ma conviction a moins à voir avec ce qu’on aperçoit sur l’image qu’avec l’expérience du passé, quand le politicien s’est retrouvé dans le pétrin.

Mais avant de parler de la relation historiquement difficile de Denis Coderre avec la vérité, je vais vous dire ce que je pense de la scène captée par un citoyen, sur Robert-Bourassa, il y a quelques jours…

Texter au volant quand le véhicule est en marche, c’est hyper dangereux. C’est pourquoi la loi est si dure : tu touches à ton téléphone, t’es en infraction, point final. Même règle que le véhicule soit en marche ou qu’il soit immobilisé, à un feu rouge ou dans un bouchon de circulation.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU JOURNAL DE MONTRÉAL

Denis Coderre tenant son cellulaire au volant

Beaucoup de Québécois se font prendre : ils vérifient furtivement leurs messages, à la faveur de cet arrêt. Boum, ticket. Ça m’est arrivé il y a quelques années.

Bref, Denis Coderre a fait ce que beaucoup de Québécois ont fait, convaincus qu’étant à l’arrêt, c’est « moins dangereux » de toucher à leur téléphone. Mais Denis Coderre s’entête et nous sort des explications aussi détaillées qu’invraisemblables sur le manque de fiabilité d’un socle de téléphone intelligent dans un habitacle automobile…

S’il avait admis l’erreur rapidement, on n’en aurait pas parlé hier. Je n’en parlerais pas ce matin.

Non, ce qui vaut à Denis Coderre d’être encore dans les manchettes pour cette histoire, c’est son entêtement à ne pas reconnaître l’évidence, c’est sa combativité ridicule quand il a dû s’expliquer, par exemple chez Paul Larocque de LCN, lundi : le vieux Denis cassant des dernières années de mairie ressemblait à s’y méprendre au Denis 2.0 supposément tricoté avec des arcs-en-ciel…

Notez ici que je m’en fous que Denis Coderre soit sanguin, qu’il se fâche avec les journalistes (à micro ouvert ou fermé) ou avec « son » chef de police, comme il l’a fait jadis. Je trouve juste exaspérante cette campagne de marketing qui essaie de nous faire croire que l’ex-maire est un homme radicalement nouveau.

Revenons aux mensonges, donc.

Pour comprendre le rapport complexe de l’ex-maire avec la vérité, il faut remonter très loin dans le temps, en 1997. Denis Coderre est député fédéral. Il traverse une passe difficile dans sa vie personnelle. Un ami, Claude Boulay, lui offre de l’héberger à son condo de L’Île-des-Sœurs. Denis Coderre accepte le gîte.

Mais Claude Boulay n’est pas n’importe quel « ami » de Denis Coderre. C’est aussi un important publicitaire québécois, qui a des contrats avec le gouvernement fédéral… dont Denis Coderre est député.

Trois ans plus tard, Denis Coderre se fait demander par le journaliste Daniel Leblanc, du Globe and Mail (1), s’il a déjà résidé au condo de Claude Boulay, à L’Île-des-Sœurs. Boulay est alors dans la ligne de mire d’enquêtes journalistiques qui vont former ce qui n’était alors pas encore le scandale des commandites.

Réponse de Denis Coderre : non, non, non !

C’était un mensonge.

Le député a fini par corriger sa version, en 2002, en mettant beaucoup, beaucoup l’accent sur sa vie privée et sur le moment difficile qu’il traversait à ce moment-là.

Avancez le curseur à l’année 2012. Denis Coderre est encore député de Bourassa. Mais il s’est fait une nouvelle image dans les dernières années – grâce à Facebook, peu utilisé par les politiciens à l’époque ; grâce à des présences médiatiques sympathiques –, l’image d’un politicien moins cassant, très affable, salut, mon chum…

Cette transformation lui avait valu d’être regardé de façon neuve par le public et par les médias. J’étais du lot. Moi qui l’avais 100 fois critiqué depuis 2003, voilà que je tombais sous son considérable charme…

Et son image refaite, le voilà qui reluquait la mairie de Montréal…

En juin 2012, j’ai écrit que Denis Coderre (2) avait payé lui-même les frais de son jadis célèbre bras de fer judiciaire avec le hockeyeur professionnel Shane Doan. Les deux hommes s’étaient autopoursuivis sur fond de commentaires francophobes de Doan.

Denis Coderre m’avait dit aux Francs-tireurs en 2010 qu’il avait payé « de sa poche » les frais liés à cette poursuite (3). Il me l’avait reconfirmé en 2012. Je l’avais écrit dans La Presse.

C’était faux. Denis Coderre m’avait menti.

On l’a su plus tard, en avril 2017, quand Le Journal de Montréal a révélé qu’un ami de Denis Coderre, l’homme d’affaires Jean Rizzuto, lui avait fait un chèque de 25 000 $ pour payer ses avocats dans l’affaire Doan, en 2012…

Or, quand Le Journal (4) l’a contacté pour s’enquérir de l’existence du chèque, Denis Coderre a nié avoir jamais reçu un chèque de son ami Jean Rizzuto…

Petit hic : Le Journal avait une copie du chèque en question ! Là, la version de Denis Coderre a changé…

Mais tout de suite, il a recadré le débat : tout ça est plus large que sa personne – et son mensonge –, s’est-il empressé de spinner : son bras de fer avec Doan était un combat pour la langue française, « alors M. Rizzuto m’a aidé, parce qu’il croyait à cette cause »… Ce qui n’avait rien à voir.

Même mécanique de diversion dans l’affaire du cellulaire au feu rouge : Denis Coderre s’empêtre dans des explications invraisemblables et, pouf, s’empresse de recadrer le débat : va-t-on commencer à photographier les politiciens comme ça ? s’émeut-il, le tribunal populaire va empêcher du bon monde de se porter candidat !

Bref, je regarde M. Coderre se dépatouiller dans son histoire de cellulaire manipulé à un feu rouge et c’est l’évidence : le nouveau Denis est pareil comme l’ancien Denis, toujours aussi tenté par les mensonges, pour se sortir du pétrin ou faire briller sa statue… Il étire ainsi son supplice.

Je l’écrivais en novembre 2017 (5) : je ne sais jamais si je peux croire Denis Coderre, car il a si souvent lancé des explications qui, dans le passé, ont fini par s’avérer mensongères…

C’est pour ça que je ne crois pas aux explications de Denis Coderre sur son cellulaire.

(1) Lisez « Minister changes story on condo stay » (2) Lisez « L’insubmersible Denis Coderre » (3) Lisez « Denis Coderre disait payer de sa poche… » (4) Lisez « Un don de 25 000 $ intéresse les policiers » (5) Lisez « Vroum-vroum, pas de vos affaires »