(Ottawa) La découverte de 215 restes d’enfants autochtones dans un site de sépulture anonyme en Colombie-Britannique a relancé le débat sur le système des pensionnats fédéraux. Selon certains experts, il répond à la définition de génocide en droit international.

La professeure de droit Pamela Palmater, de l’Université Ryerson, à Toronto, estime que la définition de « génocide » dans la convention des Nations unies s’applique à cette mesure prise par le Canada envers les Autochtones.

Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe

En vertu de cette convention, un génocide est commis lorsque les membres d’un groupe sont tués, sont soumis à une atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale, ou soumis à des conditions d’existence devant entraîner leur destruction physique totale ou partielle. La définition de l’ONU englobe également — et précisément — le « transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ».

Pour être inculpé de génocide, le Canada doit être coupable d’un seul des cinq actes sanctionnés par la convention des Nations unies, « commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Or, la professeure Palmater estime que le Canada est coupable des cinq actes, y compris celui d’« entraver les naissances au sein du groupe ».

« Voilà, de tout temps, à quoi ressemble un génocide dans n’importe quel pays qui a commis un génocide […] des tombes anonymes d’enfants innocents », a déclaré Mme Palmater. « Les Premières Nations, partout au pays, ont signalé la présence d’autres fosses communes et de tombes anonymes d’enfants qui ont été assassinés, affamés, maltraités ou sont morts. »

« Des preuves tangibles », dit le chef des chefs

Le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, a déclaré mardi que le système des pensionnats constituait un génocide et que les tombes anonymes trouvées à Kamloops en sont la preuve tangible. « J’exige que tous les gouvernements s’engagent à soutenir les Premières Nations qui souhaitent des enquêtes approfondies sur les anciens sites des pensionnats et à prendre toutes les mesures disponibles pour tenir les auteurs responsables de leurs actes. »

La Commission de vérité et réconciliation a publié son rapport en 2015, après des années d’études sur ces pensionnats gérés par l’Église et parrainés par le gouvernement fédéral, qui ont fonctionné au Canada pendant plus de 120 ans. Le rapport expliquait que le « génocide physique » est « le massacre de membres d’un groupe ciblé », alors que le « génocide culturel » est « la destruction de ces structures et pratiques qui permettent au groupe de continuer à vivre en tant que groupe ».

Génocide culturel ?

Le professeur de sciences politiques David MacDonald, de l’Université de Guelph, en Ontario, rappelle que la commission pouvait conclure à un « génocide culturel », mais pas à un génocide en vertu de la convention de l’ONU, car elle n’était pas autorisée, en vertu de son mandat, à présenter des arguments juridiques. « Leur travail consistait à colliger des informations, mais ils n’étaient pas autorisés à déterminer si le gouvernement avait enfreint des lois », explique le professeur MacDonald.

Par contre, l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été créée en vertu de la Loi sur les enquêtes, ce qui lui a permis d’assigner des témoins et de prendre des décisions juridiques, soutient le professeur MacDonald. Et en 2019, l’enquête a conclu dans son volumineux rapport que le Canada avait délibérément et systématiquement violé les droits des Autochtones, et que ses gestes constituaient bel et bien un génocide.

À la suite de la publication du rapport, le premier ministre Justin Trudeau avait accepté cette conclusion de « génocide », mais soutenait que le Canada devait se concentrer sur des gestes concrets pour remédier à la situation, et non sur des mots.

Déjà un verdict

La professeure Palmater, également avocate mi’kmaq, estime elle aussi que le Canada a été reconnu coupable de génocide, à la fois historique et en cours, par l’enquête sur les femmes disparues et assassinées. « Pas d’un point de vue académique ou politique — il ne s’agissait pas de théorie : il s’agissait bel et bien d’une évaluation juridique concrète, effectuée par l’enquête nationale », a-t-elle soutenu.

Et elle estime que le Canada continue de commettre un génocide aujourd’hui. « Il y a trois fois plus d’enfants autochtones en famille d’accueil que dans les pensionnats », a-t-elle rappelé. « Les enfants placés en famille d’accueil ici subissent des taux plus élevés d’agressions physiques, sexuelles, de manque d’éducation, de manque d’accès aux soins de santé, de violence psychologique, d’attaques contre leur culture et, bien sûr, les deux tiers de tous les Autochtones dans les prisons aujourd’hui viennent de ce système de placement en famille d’accueil, un cinquième provenait des pensionnats. »

Le Canada ne pourrait faire face à des conséquences judiciaires pour ses gestes commis contre les Autochtones que si un tribunal jugeait que le pays avait commis des crimes contre l’humanité ou un génocide, a précisé Bruno Gélinas-Faucher, professeur de droit à l’Université de Montréal et doctorant en droit international à l’Université de Cambridge. Il rappelle que le Canada a déjà criminalisé le génocide et les crimes contre l’humanité dans son système juridique national, mais que ce serait à des procureurs fédéraux d’ouvrir une enquête criminelle.

Cette dépêche a été produite avec l’aide financière des Bourses de Facebook et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.