(Ottawa) Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, dit avoir reçu un nombre important de plaintes en lien avec la pandémie de COVID-19, allant de la présence du français lors des conférences de presse gouvernementales à l’étiquetage unilingue des produits sanitaires.

Au total, le Commissariat aux langues officielles a reçu pas moins de 138 plaintes en lien avec la crise sanitaire entre le 1er avril 2020 et le 31 mars 2021, indique-t-on dans le rapport annuel dévoilé mardi. Elles représentent un peu plus de 7 % des 1870 plaintes reçues pendant cette période.

Certaines de ces plaintes en lien avec la COVID-19 concernaient notamment « la présence non équivalente du français » dans les conférences de presse du premier ministre Justin Trudeau ou de la santé publique en début de la pandémie. En entrevue, M. Théberge dit que son bureau est intervenu pour rectifier le tir rapidement.

« Au début de la pandémie, on avait constaté […] qu’il n’y avait pas un équilibre dans les deux langues officielles dans les conférences de presse. Par exemple, au début, le premier ministre avait tendance à parler plus longuement en anglais qu’en français », a déclaré le commissaire à l’autre bout du fil.

Idem pour les conférences de presse qui suivaient celle du premier ministre à Rideau Cottage ; les administrateurs en chef de l’Agence de la santé publique du Canada ont l’habitude de tout répéter en anglais et en français, mais la ministre fédérale de la Santé, Patty Hajdu, est unilingue anglophone.

« Ce qui a été relevé, c’est que, dans cette situation, on n’avait pas nécessairement les porte-parole qui pouvaient soit communiquer dans les deux langues officielles, ou soit avoir un porte-parole ou quelqu’un d’autre qui pouvait communiquer dans les deux langues officielles », a ajouté M. Théberge.

Plusieurs autres plaintes portaient sur la décision de Santé Canada, en mars et en avril 2020, d’autoriser de façon temporaire l’étiquetage en anglais seulement de désinfectants et de produits de nettoyage. Le ministère fédéral a sommé les importateurs de revenir à un étiquetage bilingue en juin 2020.

D’autres plaintes concernaient l’envoi de messages textes en anglais seulement par l’entremise de l’application Alerte COVID. D’autres ont été déposées par des fonctionnaires fédéraux qui se plaignaient que seul l’anglais était utilisé dans des courriels internes ou des conférences téléphoniques.

Dans son rapport, le Commissariat aux langues officielles considère que, en ce qui concerne le nombre annuel de plaintes reçues, « la tendance à la hausse se confirme » avec plus de 1000 plaintes annuellement depuis les trois dernières années.

« Malgré la chute du nombre de plaintes du public voyageur en raison des restrictions liées à la pandémie de COVID-19, il n’en demeure pas moins que le nombre de plaintes liées aux communications avec le public en général demeure élevé », peut-on lire dans le document.

L’année 2019-2020 avait vu un bond de 25 % des plaintes par rapport à l’année 2018-2019 ; l’année 2020-2021 a pour sa part vu un bond de 37 % des plaintes par rapport à l’année précédente.

Parmi les 1870 plaintes reçues dans la dernière année, 693 d’entre elles concernent les communications avec le public et la prestation des services, 173 concernent la langue de travail et 968 concernent les exigences linguistiques des postes en vertu de l’article 91 de la Loi sur les langues officielles.

Dans cette dernière catégorie, 806 des 968 plaintes n’ont pas fait l’objet d’une enquête « parce qu’il a été déterminé qu’elles n’avaient pas été faites de bonne foi », note-t-on dans le rapport.

M. Théberge est tout de même d’avis qu’il y a là un problème « systémique ». « Le nombre de plaintes à mon avis reflète correctement ce qui se passe au niveau de l’appareil fédéral, c’est-à-dire qu’on ne fait pas d’évaluation objective des exigences linguistiques des postes », a-t-il expliqué.

Comme c’est habituellement le cas, la grande majorité des plaintes (1176) en lien avec les langues officielles proviennent de la région d’Ottawa-Gatineau.

Recommandations

Le commissaire aux langues officielles a formulé trois recommandations à la lumière des constatations faites dans son plus récent rapport.

M. Théberge enjoint le gouvernement fédéral de se pencher sur son récent rapport sur le non-respect des obligations linguistiques des institutions fédérales dans des situations d’urgence et demande au Bureau du Conseil privé de dresser une feuille de route dans les six prochains mois pour y donner suite.

Il demande également au greffier du Conseil privé de se saisir immédiatement des enjeux relatifs à la mise en œuvre de l’article 91 de la Loi sur les langues officielles et de mettre en place, d’ici juin 2022, des stratégies pour « combattre le sentiment d’insécurité linguistique » au sein de la fonction publique.

Mais la recommandation la plus importante reste la modernisation de la Loi sur les langues officielles. M. Théberge appelle tous les parlementaires à collaborer pour l’adopter le plus rapidement possible lorsque le projet de loi sera déposé, dans les prochaines semaines, espère-t-il.

« Je pense que ça serait réellement un coup de barre qu’on donnerait aux langues officielles […] et on pourrait, l’année prochaine, dans le rapport annuel, faire référence à cette nouvelle loi sur les langues officielles qui à mon avis est un nouveau départ », a-t-il souhaité.

De passage au comité des langues officielles, la ministre responsable du dossier, Mélanie Joly, a de nouveau réitéré que son intention était toujours de déposer un projet de loi avant la fin de l’année.

« Écoutez, c’est sûr que j’ai très hâte d’accoucher de quelque chose, particulièrement d’un projet de loi, et c’est sûr que je vais faire en sorte de pouvoir déposer un projet de loi au cours de l’année 2021 », a déclaré la ministre qui répondait à une question du néo-démocrate Alexandre Boulerice, mardi après-midi.