Le confinement pandémique a provoqué une baisse radicale de la propagation de la grippe. Mais certains experts s’inquiètent qu’elle revienne en force l’an prochain. En prime, une nouvelle menace de grippe aviaire se profile en Chine.

Immunité amenuisée

Au pic de la saison de la grippe en 2019-2020, on enregistrait 2000 nouveaux cas par semaine au Québec. Cette année, depuis l’automne, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) en dénombre trois. Cette situation inédite signifie que l’immunité transmise d’une année à l’autre par une infection grippale pourrait s’amenuiser. Quand une nouvelle souche de grippe fait son apparition, ou quand le cocktail de souches choisies pour le vaccin grippal ne correspond pas à la réalité, le nombre de cas et leur gravité sont souvent plus élevés. Est-ce que la grippe nous jouera des tours en 2021-2022 ? « C’est très, très difficile à dire », dit Maryse Guay, spécialiste de la vaccination à l’Université de Sherbrooke. « On n’a pas jusqu’à maintenant montré que l’immunité transmise d’année en année par les infections grippales a un impact sur le nombre de cas.

Et il y a plein d’autres facteurs en jeu. Est-ce que les gens vont être plus enclins à rester chez eux quand ils se sentent grippés ? Est-ce qu’ils vont porter le masque quand ils se sentent grippés ? On peut penser que les comportements vont changer. » D’habitude, dit l’épidémiologiste de Sherbrooke, on peut prévoir la prochaine saison grippale en observant ce qui se passe en Australie à partir de notre printemps, qui correspond à l’automne dans l’hémisphère Sud. « Mais en Australie, on a encore le confinement, donc la comparaison ne tient pas. » Différentes régions australiennes ont en effet conservé des mesures sanitaires, dont Melbourne, qui vient de réintroduire le port du masque.

Choisir les bons vaccins

L’autre grande incertitude concerne les vaccins. « Est-ce que les compagnies vont consacrer autant d’énergie aux vaccins contre la grippe ? demande la Dre Guay. Il se pourrait aussi que la demande en vaccins soit plus grande, à cause de l’habitude créée par la vaccination contre la COVID-19. » Autre inconnue, il est possible que le confinement partout dans le monde diminue la fréquence d’émergence des nouvelles souches grippales, et donc que le choix du cocktail de souches par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la vaccination cible mieux les souches en circulation. L’efficacité du vaccin grippal, qui contient trois ou quatre souches choisies six mois avant l’arrivée de la grippe dans une région, est souvent inférieure à 50 %.

Surveillance imprécise

Contrairement à la COVID-19, qui fait l’objet de tests serrés, la grippe n’est pas surveillée de façon exhaustive. « Beaucoup de cas et de décès liés à la grippe ne sont pas identifiés, dit la Dre Guay. Alors les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis (CDC) font des extrapolations à partir du nombre de cas recensés. » Les CDC estiment que la grippe fait de 23 000 à 61 000 morts chaque année aux États-Unis. Or, le nombre de morts officiellement attribués à la grippe saisonnière allait de 3348 à 15 620 par année entre 2013 et 2020. Le nombre de cas officiellement recensés par les CDC tourne habituellement autour de 200 000 par an, mais ils pourraient être aussi nombreux que 45 millions. Cette année, la surveillance de l’influenza au Québec a été très affectée par les « efforts imposants déployés pour lutter contre la pandémie de COVID-19 », précise l’INSPQ sur son site. Le nombre de décès liés à l’influenza chaque année au Canada, 3500, est d’ailleurs extrapolé à partir des extrapolations américaines.

La grippe aviaire inquiète

À la mi-mai, des chercheurs chinois ont sonné l’alarme pour la grippe aviaire H5N8, dans la revue Science. Il s’agit d’une souche qui a tué des millions d’oiseaux depuis 2014, notamment en Europe. Les virologues de l’Académie des sciences de Chine notent que sept cas humains de H5N8 ont été détectés en décembre dernier en Russie, sans aucun décès, et que des variants de grippe aviaire H5N1 transmissibles entre mammifères ont été créés en laboratoire, ce qui laisse entrevoir la possibilité que de telles mutations apparaissent naturellement. « La grippe aviaire, c’est un autre cauchemar », dit la Dre Guay. L’experte rappelle que les vaccins antigrippaux sont surtout fabriqués dans des œufs de poule, et qu’un virus aviaire qui les attaquerait pourrait compliquer le processus. Jusqu’à maintenant, la grippe aviaire est transmise des oiseaux aux humains, mais pas entre humains. De nombreux cas de transmission de grippes aviaires entre mammifères ont toutefois été observés. L’étude de Science note que la première grippe aviaire ayant infecté des humains remonte à 2003, et la première épidémie de grippe aviaire chez les oiseaux à 1959, mais que le phénomène pourrait avoir été observé dès la fin du XIXsiècle, avant la virologie moderne.

La grippe aviaire en chiffres

862 : nombre de cas humains de grippe aviaire H5N1 depuis 2003

455 : nombre de décès humains dus à la grippe aviaire H5N1 depuis 2003

Source : Science