Cette semaine, sur Twitter, Benoit Charette a semblé vouloir réduire le débat sur le troisième lien à une guerre entre Montréal et Québec. Ça m’a donné envie de lui poser la question qui tue : comment diable le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques peut-il défendre… la construction d’un tunnel autoroutier ? Benoit Charette a accepté d’éclairer ma lanterne.

Isabelle Hachey : Christian Savard, de l’organisme Vivre en Ville, a écrit mercredi sur Twitter que deux nouvelles lignes de métro, ça donnait davantage à rêver qu’un troisième lien. Je cite votre réponse : « Certaines personnes, souvent de Montréal, regardent de haut les projets structurants pour notre capitale nationale, tout en réclamant des milliards supplémentaires pour Montréal. À leurs yeux, leurs projets seront toujours plus méritoires que ceux de l’est du Québec. » Clairement, M. Savard comparait le prolongement d’une ligne de métro à la construction d’un tunnel autoroutier. N’est-il pas réducteur – et électoraliste – d’en faire une querelle entre Québec et Montréal ?

Benoit Charette : Pas du tout ! Je ne réduis pas cela à une querelle Québec-Montréal. Actuellement, pour la région de Montréal, on a presque 30 milliards en transport collectif dans nos cartons. Certains de ces projets-là sont déjà en cours de réalisation. […] Il n’y a aucune querelle Québec-Montréal, mais Québec a droit aussi à des investissements en transport collectif. Ces dernières années, il y en a eu très peu. Le tramway devient le premier véritable projet structurant de transport collectif.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

I. H. : N’empêche, est-ce votre mandat, en tant que ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, de défendre ce projet de tunnel ?

B. C. : Je ne défends pas, et le gouvernement ne se limite pas à défendre, un simple projet de tunnel. On ne peut pas isoler une composante par rapport à une autre. C’est un projet intégré. […] On ne pourrait pas parler du tramway sans parler du tunnel, on ne pourrait pas parler du tunnel sans parler des voies réservées. C’est réellement ce qui manquait à la capitale nationale, cette perspective intégrée, saluée par les maires de Québec et de Lévis.

I. H. : Vous parlez de réseau intégré, du fait qu’il ne pourrait y avoir de tramway sans tunnel. Certains pourraient y voir du greenwashing : une tentative de verdir un projet qui n’est pas du tout écologique. Quand vous dites que ce projet-là serait bon pour le transport collectif, j’ai un peu l’impression d’entendre votre collègue ministre des Forêts, Pierre Dufour, lorsqu’il disait que des coupes forestières, ce serait bon pour réduire les gaz à effet de serre…

B. C. : Ceux qui parlent de greenwashing sont ceux qui militent à la base contre la voiture. On parle de personnes – grand bien leur fasse – qui habitent en milieu très urbanisé. Le travail et l’école des enfants sont souvent à proximité. Ce n’est pas une réalité pour une majorité de Québécois. […]

J’ai de jeunes enfants. Cela implique un détour le matin, pour l’école. Ce détour, le faire en transport collectif, c’est complètement impossible. Ça fait plusieurs petites boucles qui seraient impensables. Une fois que les enfants sont déposés et que je veux me rendre au travail, c’est là que je dois avoir une alternative. Et c’est là que le réseau tramway, voies réservées et tunnel va permettre cette pleine intégration.

Ceux qui veulent bannir les voitures de nos routes, malheureusement, je sais fort bien que je ne les convaincrai jamais. Ils tiennent un discours qui, compte tenu de la grandeur du territoire québécois, est inconcevable.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

I. H. : Vous dites qu’il vous est impossible de conduire vos enfants à l’école autrement qu’en voiture. Ne devrait-on pas travailler à rendre ça possible, justement ? À rendre le choix du transport collectif plus facile et plus logique, comme en Europe ? Parlons par exemple du rapport publié jeudi par le commissaire au développement durable du Québec. Depuis 30 ans, les émissions de gaz à effet de serre dues au transport routier ont augmenté de 59 % dans la province. C’est beaucoup plus que dans cinq pays européens comparables sur le plan de la croissance démographique et économique. Le succès de ces pays s’explique notamment par le fait qu’ils découragent le transport automobile en haussant les taxes sur l’essence et les véhicules polluants. Pourquoi ne pas suivre cette voie ?

B. C. : Avant [en tant que député de l’opposition], j’étais responsable du dossier des transports. Cette question m’a interpellé. Au Québec, 45 % de nos émissions sont dues au transport. C’est effectivement immense. C’est la raison pour laquelle le Plan pour une économie verte, qu’on a dévoilé l’automne dernier, prévoit plusieurs milliards de dollars de mesures. Mais l’Europe a une avance majeure sur le Québec, qui permet ce type de contrainte. Le réseau de transport collectif y est déjà bien développé, ce qui n’est pas le cas au Québec. Ce serait très mal avisé pour nous d’y aller du bâton sans que la carotte soit disponible. C’est difficile de pénaliser une jeune famille qui prend sa voiture parce qu’elle n’a tout simplement pas de solution de rechange.

I. H.  : Je comprends, mais le projet que le gouvernement vient d’annoncer n’est pas du transport collectif ; c’est un tunnel routier à deux étages ! Plusieurs experts préviennent qu’une infrastructure pareille appartient au passé. Ça favorisera nécessairement la voiture. Ça s’est vérifié souvent, ailleurs dans le monde : plus on construit de routes, plus on incite les gens à prendre le volant. On facilite la vie des automobilistes. Ça finit par augmenter la congestion routière plutôt que de la réduire…

B. C. : Ce sont des arguments valables, mais il faut prendre en compte la réalité du secteur. Je reprends mon ancien chapeau du transport. Ça m’avait fasciné à l’époque : de Gaspé à Montréal, il y a juste trois ponts, deux à Québec et un à Trois-Rivières, en très mauvais état. […]

Je ne dis pas qu’on est à la veille de perdre un des deux ponts de Québec ou celui de Trois-Rivières, mais dans les prochaines années, dans le prochain siècle, c’est clair qu’un de ces ponts ne sera plus en service. On sait que préparer, développer, mettre en service une nouvelle infrastructure, ça prend plusieurs années, voire quelques décennies, donc ce n’est pas un luxe que d’ajouter un lien supplémentaire entre les deux rives, connaissant l’état actuel des infrastructures qui nous permettent de traverser le fleuve.

I. H. : Vous dites mettre votre chapeau des Transports. Je cherche celui du ministre de l’Environnement. Ne devriez-vous pas être la conscience verte de ce gouvernement ? Remettre en question une attitude qui revient à encourager, en pleine urgence climatique, l’étalement urbain, le trafic en ville, la pollution atmosphérique ? Exiger des études environnementales qui justifieraient ce projet ?

B. C. : La réponse à tout cela est oui. C’est la raison pour laquelle on a présenté le Plan pour une économie verte. […] Le rôle de ministre de l’Environnement, ma première responsabilité, je l’assume avec la mise en œuvre de ce plan, qui repose largement sur le transport collectif. Mais pour en revenir au tunnel : sans ce lien, les usagers Québec-Lévis seront malheureusement condamnés à utiliser leur véhicule personnel, faute d’alternative.

Les questions et les réponses ont été éditées par souci de concision et de clarté.