L’ex-PDG du CISSS de Lanaudière Daniel Castonguay admet qu’avec ce qu’il sait aujourd’hui, il aurait dû, pendant son mandat, rencontrer plus souvent les représentants de la communauté atikamekw de Manawan.

« Lorsqu’on regarde en rétrospective, avoir créé des statutaires [rencontres officielles] plus régulièrement avec la communauté aurait été un levier important », a dit vendredi M. Castonguay, qui témoignait au neuvième jour d’audience de l’enquête publique du coroner sur la mort de Joyce Echaquan.

M. Castonguay n’est plus en fonction depuis décembre 2020, soit un peu plus de deux mois après la mortoeu dans des circonstances troublantes de cette mère atikamekw de sept enfants au Centre hospitalier de Lanaudière (hôpital de Joliette), le 28 septembre.

Interrogé sur son départ, M. Castonguay, qui travaille aujourd’hui au ministère de la Santé, estime qu’il aurait « encore pu faire une différence ». Mais « la communauté atikamekw ne voulait plus du tout travailler avec moi », a-t-il expliqué, ajoutant avoir choisi de partir d’un commun accord avec le gouvernement.

M. Castonguay est arrivé en poste au CISSS de Lanaudière en 2015. Il a visité Manawan en début de mandat et travaillé à ramener une couverture ambulancière dans la communauté, a-t-il dit. Mais l’implantation de la réforme du réseau de la santé l’a ensuite passablement occupé, a-t-il témoigné.

Une agente de liaison, Barbara Flamand, a été engagée en 2019 et avait comme mandat de faire le lien entre les patients de la communauté atikamekw et l’hôpital de Joliette. M. Castonguay a expliqué ne jamais l’avoir rencontrée. Il a dit ignorer si Mme Flamand relevait du CISSS ou des Services de santé de Manawan. Un peu plus tôt cette semaine, Mme Flamand avait raconté ne pas avoir été accueillie en bonne et due forme au CISSS et s’être fait retirer son bureau après six mois. « De l’extérieur, et c’est vraiment une appréciation totalement subjective que je suis en train de faire là, on dirait que vous avez réglé un problème qui est uniquement cosmétique », a dit la coroner Géhane Kamel. M. Castonguay a répondu que ce n’était « pas [sa] perception » et que si Mme Flamand avait été mal accueillie, « je l’apprends ».

Le PDG ignorait les témoignages de la commission Viens

M. Castonguay persiste et signe : il n’a jamais été informé des témoignages d’une vingtaine d’Atikamekws qui étaient allés en 2018 à la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (commission Viens), pour dénoncer le racisme qui sévissait à l’hôpital de Joliette.

M. Castonguay dit qu’une représentante du CISSS de Lanaudière avait abordé au comité de direction « ce qui s’est passé à la Commission. […] Mais on n’a pas eu d’information additionnelle sur l’hôpital de Joliette ».

Le 29 octobre 2020, dans La Presse, la représentante du CISSS de Lanaudière à la commission Viens, Maryse Olivier, avait fortement démenti le tout et assuré avoir informé à plus d’une reprise la direction des allégations de racisme contre l’hôpital de Joliette.

M. Castonguay dit avoir mis en place toutes les recommandations qui ont découlé de la commission Viens. Une formation sur la sécurisation culturelle a notamment été offerte. Il dit avoir organisé un « forum populationnel » en mars 2020 qui devait se rendre à Saint-Michel-des-Saints pour sonder la population de cette municipalité ainsi que de celle de Saint-Zénon et de Manawan. La coroner Kamel lui a demandé pourquoi il ne s’était pas rendu directement à Manawan « sachant qu’il y avait une particularité ». « Si j’avais eu cette demande de M. [Paul-Émile] Ottawa, je l’aurais fait », a répondu M. Castonguay. Ce forum n’a finalement jamais eu lieu à cause de la pandémie.

Une « problématique de civilité »

Selon M. Castonguay, il n’y a pas de problème de racisme systémique à l’hôpital de Joliette. Quand il a pris connaissance de la vidéo tournée quelques heures avant la mort de Joyce Echaquan où l’on voit une infirmière la traiter de « grosse épaisse », M. Castonguay dit avoir été « choqué ». Il indique qu’une « problématique de civilité » touchait l’hôpital de Joliette depuis des années. Que là-bas, des « gens se parlent bête » ou ont « une attitude pas le fun ». Des campagnes sur la bienveillance avaient notamment été organisées pour améliorer ce « climat toxique », a affirmé M. Castonguay.

L’ex-PDG assure toutefois n’avoir jamais entendu des propos comme ceux proférés à l’endroit de Joyce Echaquan. « Ça, c’était une première », a-t-il dit.

Il fait remarquer que 10 plaintes pour discrimination ou racisme avaient été déposées en 5 ans à l’hôpital de Joliette sur les milliers de plaintes reçues pour différents motifs au CISSS. Ces plaintes pour racisme n’ont « pas retenu [son] attention ».

Plus tôt vendredi, l’ancienne coordonnatrice du personnel infirmier du CISSS de Lanaudière Nancy Pellerin est venue expliquer que les préjugés contre les patients de certaines communautés, dont les Atikamekws, existaient au Centre hospitalier de Lanaudière bien avant la mort de Joyce Echaquan.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Nancy Pellerin, ancienne coordonnatrice du personnel infirmier de l’hôpital de Joliette, a témoigné à l’enquête du coroner sur la mort de Joyce Echaquan.

Celle-ci a raconté avoir été elle-même témoin de certains évènements. En début de carrière, elle a dit avoir été appelée à soigner une plaie située sous le sein d’une patiente atikamekw qui ne parlait pas français. Alors qu’elle s’exécutait, une collègue aurait dit : « Si elle se lavait de temps en temps, elle aurait vu qu’elle avait une plaie. »

Une CEPI « en perte de contrôle clinique »

Mme Pellerin a expliqué que c’était elle, en 2019, qui avait fait les démarches pour convaincre la direction du CISSS de Lanaudière de ramener des Candidates à l’exercice de la profession infirmière (CEPI) aux urgences de l’hôpital de Joliette. Et ce, même si un règlement de la Loi sur la santé et les services sociaux interdit qu’une CEPI soigne des patients instables. Mme Pellerin a dit qu’elle croyait que le règlement serait respecté aux urgences, car des infirmières d’expérience étaient toujours présentes pour prendre en charge les patients instables.

Joyce Echaquan, qui souffrait d’une rare pathologie cardiaque, a succombé à un arrêt cardiaque induit par un œdème pulmonaire. Une CEPI s’est retrouvée à veiller sur elle et sur de nombreux autres patients durant la matinée. Cette CEPI semblait « en perte de contrôle clinique », a dit M. Castonguay, qui estime qu’il y a « beaucoup à faire sur l’organisation clinique des urgences ».

Les audiences de l’enquête du coroner se poursuivent la semaine prochaine avec les recommandations de différents experts.