Plus on avance dans l’enquête du coroner sur la mort de Joyce Echaquan, plus le contraste est saisissant entre le déni et le silence des uns et la déshumanisation décrite par les autres.

D’un côté, on nous dit que la mort de cette mère atikamekw sous une pluie d’injures racistes à l’hôpital de Joliette serait tout au plus un malheureux cas isolé dans un contexte de surcharge de travail.

De l’autre, on nous brosse un tableau choquant qui donne à croire que la mort de cette jeune femme autochtone dans des conditions inhumaines est le symptôme d’un mal beaucoup plus grand, déjà dénoncé et trop souvent ignoré. Non pas la surcharge de travail, mais la surcharge de racisme.

« C’est une Indienne, c’est pas grave, elle sonne pour rien. »

« Ça aime mieux se faire fourrer pis faire des enfants pis se plaindre. Pis c’est nous autres qui payent pour ça. »

« Enfin, on va avoir la paix, elle est morte. »

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S’il n’y avait pas eu cette vidéo de Joyce Echaquan, aurait-on cru la famille ? a demandé, mercredi, la coroner Géhane Kamel, avouant que cette question l’empêche de dormir ces jours-ci.

Elle posait la question à l’infirmière-chef en poste au moment des faits, qui lui a avoué avoir bien du mal à dormir elle aussi depuis cette tragédie « inacceptable ». « C’est une très bonne question. C’est sûr que si la famille était arrivée dans mon bureau, on aurait pris ça en considération. On ne peut pas dire : ah ! la famille dit ça, ce n’est pas vrai ! On ne peut pas. Il y aurait eu une enquête. »

Beaucoup de gens ont découvert avec horreur le racisme à l’égard des peuples autochtones en voyant la vidéo de Joyce Echaquan.

Mais pour ceux qui endurent ces injustices et ce regard déshumanisant au quotidien, la vidéo, aussi insoutenable soit-elle, n’est qu’un exemple de plus d’un scénario qu’ils connaissent trop bien. Un scénario qui fait en sorte qu’ils ont peur de se rendre à l’hôpital.

C’était écrit noir sur blanc dans le rapport de la commission Viens, rendu public en 2019.

« De mon point de vue, s’il est impossible de généraliser, les voix entendues sont assez nombreuses pour affirmer que les membres des Premières Nations et les Inuits ne se sentent pas en sécurité lorsque vient le temps de mettre leur santé entre les mains des services publics », a écrit Jacques Viens, dans le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics.

Pour le commissaire Viens, on ne peut réduire le problème à une succession de cas isolés. Il est impossible de nier la discrimination systémique dont sont victimes les Autochtones dans leurs relations avec les services publics, écrit-il.

C’était impossible avant la mort en direct de Joyce Echaquan. Ce l’est encore plus depuis.

À l’origine de cette discrimination systémique, on trouve une méconnaissance généralisée des peuples autochtones, qui vient avec son lot de préjugés et de stéréotypes. La liste est longue. Incapables de prendre en charge leurs enfants. Dépendants. Violents. Privilégiés qui ne payent pas de taxes ni d’impôts…

Pour lutter contre ces préjugés et rétablir la confiance, la commission Viens recommandait la mise sur pied dans le réseau de la santé de services et de programmes répondant aux principes de sécurisation culturelle pour les peuples autochtones.

Le but ? S’assurer que les milieux de soins soient exempts de stéréotypes et de racisme. Pour que tous les patients soient traités avec empathie, respect et dignité.

Ce qui est extrêmement troublant, c’est qu’officiellement, à l’hôpital de Joliette, cette recommandation était déjà mise en place. Mais elle n’était de toute évidence pas prise au sérieux.

Mardi, l’agente de liaison autochtone embauchée en 2019 pour sécuriser les patients atikamekw a raconté qu’il lui était impossible de faire son travail. Elle ne se sentait pas la bienvenue à l’hôpital. Et pour cause… On lui a retiré son bureau après six mois. On ne lui a pas donné de formation. Elle se sentait « inutile », n’ayant pas le soutien du personnel de l’hôpital.

« J’essayais toujours de défendre les patients, et personne ne voulait m’écouter », a raconté Barbara Flamand, qui a donné sa démission depuis.

Le jour de la mort de Joyce Echaquan, le personnel médical n’a pas fait appel à ses services d’interprète.

C’est la mère de Joyce Echaquan qui l’a appelée en panique. Elle a eu tout un choc quand on lui a annoncé à l’hôpital que la jeune femme était morte. « J’ai le cœur brisé depuis », a-t-elle dit, la voix brisée.

C’est bien beau d’embaucher une agente de liaison en sécurisation culturelle, mais encore aurait-il fallu que quelqu’un l’écoute. On ne peut pas tisser des liens avec des gens qui vous tournent le dos.

« Vous avez été mise là comme une espèce de trophée mais dans le fond, il n’y avait aucun leadership pour que votre travail soit véritablement efficace », a déploré le coroner et médecin Jacques Ramsay, qui accompagne la coroner Géhane Kamel dans cette enquête.

« J’irais même plus loin. L’hôpital n’a même pas réussi à vous sécuriser, vous », a ajouté le DRamsay.

« Les bras m’en tombent. »

Me Kamel a regretté de son côté que l’agente de liaison, qui avait pourtant un « poste en or pour établir des ponts », ait été traitée comme un « bibelot ». Un petit objet décoratif sans importance.

On parle souvent du danger des beaux rapports qui dorment sur des tablettes. Mais s’ils se réveillent et engendrent de belles recommandations bibelots, ce n’est pas vraiment mieux. C’est même pire, à vrai dire, parce que l’illusion peut être parfaite. Jusqu’à ce qu’une vidéo d’une femme autochtone qui meurt sous des injures racistes nous réveille et nous rappelle que le racisme n’est pas un bibelot.