Il était une fois une prof d’anglais au grand cœur qui tenait mordicus à ce que toutes ses finissantes, même les plus défavorisées, puissent aller au bal. Sept ans plus tard, Linda Blouin prend sa retraite de l’enseignement. Mais fée marraine elle est, fée marraine elle demeure, et la voilà qui distribue maintenant des bourses d’études.

Avant 2014, c’était un placard qui ne payait pas de mine, au fond d’un local d’une polyvalente de Saint-Léonard, en milieu défavorisé. Dans ce décor, les robes de bal d’occasion avaient un petit air tristounet dans leur housse.

Le photographe était arrivé un peu en retard, grommelant après avoir eu du mal à trouver la porte de la polyvalente Antoine-de-Saint-Exupéry, la plus grande du Québec.

Le projet était encore modeste, fait de quelques dizaines de robes de bal données par des profs, par une école de danse sociale ou par la copine d’une copine d’une copine. L’intention, elle, était géante : habiller de la tête aux pieds les finissantes dont les parents, souvent fraîchement arrivés au Québec, n’avaient pas assez d’argent pour acheter des tenues de soirée.

La photo de Linda Blouin et d’une jeune fille en pleine séance d’essayage s’est retrouvée en une du journal avec un article coiffé du titre : « La fée marraine de Saint-Léonard ».

À partir de là, ç’a été la déferlante. La boîte de messagerie de La Presse a aussitôt été inondée de messages de jeunes filles des quatre coins de la province prêtes à offrir leur robe de bal. De femmes d’affaires, aussi, disant avoir quantité de très jolies robes de cocktail à donner.

« De toute évidence, ça devenait énorme. J’ai eu un gros vertige », se souvient Linda Blouin, enseignante d’anglais.

Des philanthropes ont voulu apporter une contribution, des femmes d’affaires, des artistes, des avocates. Un conseil d’administration a été constitué, des « journées-boutiques » qui se tiennent dans deux gymnases ont été organisées.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

En 2014, Geneviève Peel (à gauche) et Linda Blouin (à droite), avant que le projet fasse boule de neige.

« Les filles arrivent à ces journées-là la mine basse, déçues de ne pas avoir pu aller rue Saint-Hubert magasiner leur robe comme elles le souhaitaient. Mais quand elles arrivent dans le gymnase et qu’elles voient toutes les belles robes – soigneusement retenues par une styliste de notre équipe –, c’est fou comme on les voit relever la tête », raconte Mme Blouin.

Toutes repartent avec des chaussures, des bijoux, des produits de beauté et une petite leçon de coiffure et de maquillage gracieusement offerte par des élèves de l’École des métiers des Faubourgs-de-Montréal.

« Ce qu’on offre à ces jeunes filles, c’est bien plus qu’une robe de princesse. C’est de la dignité », résume Mme Blouin.

Mariandre Arrivillaga de León confirme. « Sans les Fées Marraines, je n’aurais pas eu le bal que j’ai eu », dit-elle.

Pour Mariandre Arrivillaga de León, la bienveillance des fées-marraines a été finalement aussi mémorable que le bal lui-même.

Même que pour elle, la journée-boutique est un aussi beau souvenir que le bal lui-même. « J’y suis allée avec ma mère et une bénévole m’a aidée à trouver la robe parfaite et tous les accessoires. On m’a fait sentir comme si j’étais la seule qui comptait, ce jour-là. »

L’année suivante, Mariandre a tenu à être elle-même bénévole, « pour être celle qui donne après avoir été celle qui a reçu ». « Cette journée-là restera gravée dans mon cœur toute ma vie. »

On l’aura compris, la rétribution des bénévoles, c’est une grande dose de reconnaissance. « Celles qui pleurent, surtout, dit Mme Blouin, ce sont les mères qui ont tant à cœur que leur fille rayonne et que soit bien soulignée l’obtention de son diplôme. Je ne compte plus le nombre de mères qui ont demandé à me rencontrer pour pouvoir me remercier personnellement. »

Et maintenant, des bourses d’études

En cette seconde année pandémique, Cendrillon sèche encore à la maison. Les robes dorment dans un entrepôt, chez Renaissance, qui a offert une partie de son espace aux Fées Marraines.

Mais les Fées marraines, qui se sont diversifiées au cours des dernières années, donneront néanmoins des ailes aux finissantes. Au total, cette année, elles distribueront 48 bourses d’études totalisant 35 000 $.

Cette année marque surtout, pour Linda Blouin, l’année où elle prend sa retraite après 30 ans dans l’enseignement.

Aussitôt le mot prononcé, sa gorge se noue, mais elle ajoute très vite qu’elle restera toujours fée marraine.

Elle ne cache pas qu’elle aurait voulu une fin un peu plus digne d’un conte de fées. Les derniers mois ont été difficiles, avec tous ces cours virtuels et « tous ces courriels nous annonçant, tous les jours, le décompte des cas de COVID-19 qui s’ajoutent. Parfois un, parfois deux, parfois trois… ».

Dans ce quartier de l’est de Montréal où la COVID-19 a frappé particulièrement fort, le personnel et les élèves ont dû attacher solidement leur tuque, pendant des mois.

Mais ce que Linda Blouin retiendra de tout son parcours, dit-elle, c’est à quel point elle a été privilégiée de baigner dans un milieu multiculturel aussi unique. « Ce n’est pas une chance qui est donnée à tout le monde. Ça t’enlève toutes tes œillères. »

Tout de même, enseigner dans l’une des plus grandes polyvalentes du Québec, dans un quartier très défavorisé de surcroît, ça n’a pas dû être jojo tous les jours.

Oui, elle a tout vu, tout entendu. Oui, oui, la drogue, la violence, la DPJ, les policiers, les tribunaux, tout ce qui arrive souvent, quoi, quand les fées ont omis de se pencher sur des berceaux. Linda Blouin s’est chargée de corriger leur oubli.

Malgré tout ce qu’elle a vu au fil des ans, Linda Blouin a néanmoins une certitude : « Les enfants sont foncièrement bons. »