La goutte qui a fait déborder le vase, c’était un suicide dans son entourage, en octobre.

Il avait 20 ans. Il devait avoir la vie devant lui. Il a trouvé la mort.

Alice parle de « goutte », la voix brisée. Mais on comprend en l’écoutant qu’il y avait derrière un océan de détresse, aggravée par la pandémie. Une vie perdue, une mort évitable et mille questions douloureuses.

C’est ainsi qu’en pleine deuxième vague, alors que le gouvernement annonçait un reconfinement, Alice Leblanc, 21 ans, et un groupe d’amis ont senti plus que jamais l’urgence d’agir, de se soutenir. Ensemble, ils ont mis sur pied le collectif Nous. Magnifique projet de sensibilisation à la santé mentale des jeunes, qui se sentent comme les grands oubliés de la pandémie.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Alice Leblanc, du collectif Nous

Ils ont voulu, à travers ce collectif, dire leur détresse, leur solitude, leur anxiété. Ils ont voulu donner une voix à de jeunes adultes qui souffrent en silence. Ils ont voulu leur dire qu’ils n’étaient pas seuls.

Ils ont voulu surtout qu’on les écoute, en haut lieu.

« Le collectif est né du contexte de la pandémie qui nous isole davantage par rapport aux enjeux de santé mentale. Ça nous plonge dans un monde plus anxiogène, un monde de cyberdépendance, où plusieurs éléments s’ajoutent en apportant une lourdeur dans la vie des jeunes », explique Alice, qui est étudiante en science politique et en histoire à l’Université McGill.

PHOTO FOURNIE PAR LE COLLECTIF NOUS

Alexandrine Beauvais-Lamoureux, du collectif Nous

En février, Alice et Alexandrine Beauvais-Lamoureux, les deux porte-parole désignées du collectif Nous, ont été invitées à participer aux Rencontres Action Jeunesse, organisées par Force Jeunesse. Leur collectif, après avoir préparé un dossier étoffé, a eu l’occasion de rencontrer des élus, de leur faire part de ses préoccupations, de leur faire entendre des témoignages bouleversants.

Celui de Théo, 18 ans : « Vous nous menottez à notre ordinateur. Vous nous condamnez à nos pleurs. Et vous les niez. Une fois de plus, vous n’écoutez pas les spécialistes. […] Alors, réveillez-vous. Réveillez-vous. »

Celui de Korine, 20 ans : « “Courage, on va y arriver ensemble.” Des larmes coulent sur mes joues alors que je regarde mon prof nous redire cette phrase au travers de mon écran. “Courage, on va y arriver ensemble.” Ces mots, je les entends pourtant seule. »

Celui de Claudèle, 22 ans : « Le découragement s’installe. Je traîne de la patte. Je traîne du corps. Je traîne du cœur, surtout. […] J’ai mal au futur, presque autant qu’au passé. »

Dans une lettre adressée au gouvernement et aux députés de l’Assemblée nationale, ils ont dit à quel point ils se sentaient abandonnés. Ils ont rappelé que, depuis le début de la pandémie, ils ont largement fourni leur part d’efforts, eux aussi.

Ils ont travaillé dans les CHSLD et les commerces essentiels. Ils ont dû faire le deuil de toute vie sociale normale. Ils ont perdu des mois de liberté, de motivation, d’amitié, de découverte, d’adrénaline… Leur santé mentale en a pris pour son rhume.

On leur dit : « Parlez-en. » On leur dit : « Allez chercher de l’aide. »

« Oui, d’accord. Mais comment ? Nos écoles sont fermées, nos professeurs sont difficiles d’accès ; l’aide psychologique, encore plus. […] Comment continuer à se battre pour les plus vulnérables alors que nous commençons à le devenir, nous aussi ? »

Ils ont dit tout ça, haut et fort.

Ils ont dit qu’ils aimeraient que les jeunes adultes, cégépiens et universitaires, fassent partie des priorités gouvernementales. Ils ont dit qu’ils aimeraient prendre part aux décisions qui les concernent, par l’entremise d’un comité jeunesse, en collaboration avec le Secrétariat à la jeunesse. Ils ont redit à quel point ils se sentaient laissés-pour-compte.

« En février, le gouvernement n’avait pas fait une seule conférence de presse qui s’adressait aux jeunes étudiants de plus de 18 ans. Pas une ! Juste pour leur dire : “On comprend votre désarroi. On est désolés. On fait ce qu’on peut. On va essayer de trouver des solutions.” »

Tout ça a donc été dit. Les élus ont été touchés par le cri du cœur des jeunes. Ils ont pris bonne note de leurs recommandations.

Et puis ? Et puis… rien, dit Alice, quelque peu dépitée.

« Depuis deux mois, c’est silence radio. »

Ils ont été entendus, oui. Mais ils n’ont toujours pas été écoutés.

Alice a du mal à blâmer le gouvernement. « Sa tâche est très difficile, je le sais. »

Mais elle a aussi du mal à ne pas voir dans ce silence un symptôme du problème qu’elle dénonce. « Je comprends que la bureaucratie et tout ce qui se passe en haut, c’est très difficile. Mais ce qui se passe en bas, sur le terrain, l’est aussi. Ça montre que les jeunes, qui ne sont évidemment pas la priorité en temps de pandémie, arrivent bien bas dans l’échelle. »

Au cabinet du premier ministre, dont relève le Secrétariat à la jeunesse, on promet de donner suite très bientôt aux propositions qui lui ont été faites. Les rencontres avec plusieurs groupes de jeunes, dont le collectif Nous, ont donné lieu à des discussions « positives et très bénéfiques », dit Ewan Sauves, attaché de presse de François Legault.

« Plusieurs idées ont été retenues. Il y aura de bonnes nouvelles pour les groupes consultés, et pour la jeunesse québécoise dans son ensemble ! »

Alice ne demande pas mieux. Il y a urgence, rappelle-t-elle. Les enjeux de santé mentale ne vont pas s’évaporer comme par magie avec la fin de la pandémie.

« Une jeunesse qui ne va pas bien, ça ne fait pas une société qui ira bien si on n’agit pas tout de suite. »

De sages paroles qu’il faudrait bien écouter. Pour ramasser tous ces cœurs qui traînent.

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