(Trois-Rivières) Dans les heures qui ont précédé sa mort, Joyce Echaquan a téléphoné à sa belle-sœur pour lui « demander de la sortir » de l’hôpital de Joliette, « car elle avait peur ». Au jour 2 de l’enquête publique du coroner, des proches endeuillés ont dénoncé l’existence de préjugés tenaces envers les autochtones.

Jemima Dubé se trouvait à Joliette le 28 septembre. Vers « 8 h 30-9 h » le matin, Mme Echaquan l’appelle avec le téléphone de l’hôpital. Elle veut partir. « Elle me demande de la sortir de là, car elle avait peur », relate-t-on. Mme Dubé avait préparé une déclaration. La gorge nouée par l’émotion, elle a été incapable de la lire.

C’est la leader autochtone Michèle Audette, qui lui apporte un soutien, qui a lu son récit devant la coroner. Après l’appel de sa belle-sœur, Jemima Dubé n’arrive pas à trouver une voiture pour se rendre à son chevet. Elle tombe ensuite sur la troublante vidéo diffusée en direct par Mme Echaquan depuis son lit d’hôpital.

La vidéo où l’on voit Joyce Echaquan se tordre de douleur et crier à l’aide alors que des membres du personnel soignant l’insultent a été diffusée sur Facebook vers 10 h 30.

Jemima Dubé trouve le moyen de se mettre en route vers l’établissement. La fille aînée de Mme Echaquan, qui a également vu la choquante vidéo, arrive avant elle.

Quand je suis entrée, j’ai cherché Joyce. Personne ne m’aidait. J’ai fait des tours jusqu’à ce qu’une infirmière me voie. C’est comme si j’étais invisible.

Jemima Dubé, belle-sœur de Joyce Echaquan

Après avoir livré un témoignage bouleversant jeudi, l’aînée, Marie Wasianna Echaquan Dubé, tenait à revenir s’adresser à la coroner vendredi. « J’ai oublié des parties [jeudi] », a-t-elle soufflé en français. Elle est revenue sur son arrivée à l’hôpital, après 11 h, quand elle a trouvé sa mère aux urgences, froide et inconsciente, et sous contention.

Elle a rapporté que les signes vitaux de la défunte avaient été vérifiés à deux reprises avant qu’elle soit transférée en salle de réanimation. On aurait tenté des manœuvres de réanimation pendant 45 minutes, selon ses propos traduits cette fois par un interprète. La mort de sa mère lui sera confirmée par un médecin de l’hôpital.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Marie Wasianna Echaquan Dubé, fille aînée de Joyce Echaquan

« La seule affaire que j’ai regrettée, c’est de ne pas l’avoir détachée moi-même », a-t-elle dit. Dans la salle, les proches essuyaient leurs larmes. Marie Wasianna Echaquan Dubé était enceinte de 37 semaines. « Traumatisée », elle n’a jamais voulu accoucher à l’hôpital de Joliette. Elle donnera naissance à Trois-Rivières.

Depuis deux jours, amis et membres de la famille de la victime ont relaté que Mme Echaquan « avait peur » de se faire soigner à Joliette. Certains ont rapporté que des Atikamekw de Manawan partageaient le même sentiment. Le personnel infirmier et médical impliqué dans les évènements sera entendu la semaine prochaine.

« Attachée comme un animal »

Depuis jeudi, des proches ont également déploré le fait que Joyce Echaquan était toujours sous contention même après sa mort. Choqué, son frère, Stéphane Echaquan, a pris des photos de la dépouille. « Ils auraient pu la détacher », a-t-il lancé. Il a relaté qu’elle avait des ecchymoses sur le corps.

« Comme si elle s’était débattue pour [se] déprendre », a-t-il illustré.

Encore aujourd’hui, M. Echaquan s’explique mal le sort qu’a connu sa sœur.

Je n’ai jamais pensé voir quelqu’un de ma famille être attaché comme un animal. C’est grave, ce qui s’est passé, c’est inacceptable.

Stéphane Echaquan, frère de Joyce Echaquan

Il a lancé un cri du cœur au sujet du racisme auquel sont confrontées les Premières Nations. Il a rapporté que ses enfants, qui fréquentent une école de Trois-Rivières, ont subi de l’intimidation à la suite de la mort de Mme Echaquan.

« Des enfants leur ont dit : “Je vais te tuer comme ils ont fait à ta tante.” »

Stéphane Echaquan a déploré l’existence de préjugés et de stéréotypes tenaces sur les autochtones. « Je ne comprends pas pourquoi ils l’ont dénigrée. […] On est tous faits de chair et d’os », a-t-il relaté avec calme.

Des mots qui ont particulièrement trouvé écho chez la coroner, Me Géhane Kamel, qui a affirmé en ouverture des travaux avoir été invectivée par un passant en chemin vers le palais de justice de Trois-Rivières. « Vous avez dit ici quelques phrases qui m’ont donné des frissons », a-t-elle dit à M. Echaquan.

MKamel a tenu à lancer « un appel à la bienveillance » au jour deux de l’enquête publique. « J’ai une seule certitude quand je me lève le matin, c’est que j’ai le même sang qui coule dans mes veines que tous les êtres humains sur la planète », a-t-elle poursuivi. Elle a dit avoir répondu à l’homme qui l’a invectivée : « Moi aussi, je vous aime, monsieur. »

Elle n’a pas précisé la nature des propos de l’individu.

Depuis jeudi, la coroner fait preuve d’énormément d’empathie envers les proches endeuillés. Après le témoignage du conjoint de Mme Echaquan, Carol Dubé, elle est descendue de sa place pour lui offrir face à face ses condoléances personnelles. « Vous allez partir d’ici avec des réponses », lui a-t-elle promis, saluant son courage.