De Vancouver à Saint John’s, de New York à Los Angeles, de Rio à Tokyo, lorsqu’il est question du Canadien de Montréal, ce n’est jamais le Montreal Canadian. C’est toujours le Canadien, avec un e. L’appellation de l’équipe est en français uniquement. Pas bilingue, comme les Sénateurs d’Ottawa Senators. Parmi les Penguins, les Golden Knights, les Devils, les Predators, les Red Wings, le Wild et les autres noms d’équipes de la LNH, un seul s’écrit et se dit dans la langue de Mario Tremblay. Bien sûr, l’Avalanche, les Jets et les Sabres ont aussi des noms qui se prononcent bien pour un Bleuet, mais ce n’est que le fruit du hasard.

La seule équipe qui s’affiche toujours en français, c’est le Canadien. C’est la raison même de son existence. Ce club a été créé pour permettre aux francophones de jouer dans la LNH. Et ils en ont bien profité : 24 conquêtes de la Coupe Stanley. Beaucoup plus que n’importe quelle franchise. Une dynastie de légendes : Vézina, Joliat, Richard, Béliveau, Lafleur, Roy. Un parcours de champions. Une fierté nationale.

Les temps changent. Lundi dernier, pour la première fois de son histoire, aucun Québécois ne portait l’uniforme bleu-blanc-rouge, lors du match contre les Oilers. Triste. Concours de circonstances ? Danault était blessé et Drouin, à la maison, pour des raisons personnelles.

Quand on est à deux joueurs de se faire blanchir l’identité, c’est plus qu’un concours de circonstances, c’est un désintérêt profond.

La québécitude du CH importe peu à la direction. Au diable l’attachement ! Le hockey est une business, comme toutes les autres business. Ben justement ! Il faut manquer de sens des affaires pour ne pas protéger la singularité de son entreprise. Quand, il y a 112 ans, on a créé le Canadien, ce n’était pas par grandeur d’âme, c’était pour intéresser le public francophone et récolter l’argent de son intérêt. Le pari a fonctionné. Les Québécois sont complètement fous de leur équipe, ce qui permet au Canadien de faire beaucoup d’argent. Mais à force d’ignorer les talents québécois, le CH risque d’en faire moins.

Le sport professionnel est basé sur le sentiment d’appartenance. Des villes affrontent des villes. Boston contre Washington. Winnipeg contre Edmonton. Los Angeles contre Vegas. On chante les hymnes nationaux. On veut que la communauté se sente impliquée. C’est ce sentiment qui fait qu’on appuie une équipe, qu’on achète des billets, des chandails, que la foule célèbre les victoires.

Si l’équipe s’appelait le Canadien de Molson, ce serait moins vendeur, moins rassembleur. C’est parce que l’équipe s’appelle le Canadien de Montréal qu’on est si accro. Il ne faut jamais que Molson oublie Montréal. Métropole du Québec. Quand on utilise la dénomination propre à un peuple, il faut respecter le peuple. Sinon, tôt ou tard, ça va faire mal à la business. Le souci d’avoir dans ses rangs plusieurs joueurs issus de la communauté de ses partisans est primordial. Et naturel.

Verrait-on le Paris Saint-Germain avec seulement deux Français ? Verrait-on les Maple Leafs de Toronto sans aucun Ontarien (ils en ont 11, en ce moment) ? Bien sûr, c’est difficile pour Vegas d’aligner des Nevadiens, mais ici, il n’y a aucune raison de ne pas compter sur la main-d’œuvre locale. On peut critiquer Hockey Québec tant qu’on voudra, le CH n’aurait pas dû laisser passer les Anthony Beauvillier, Samuel Girard, Maxime Comtois, Yanni Gourde…

Certains disent que l’important, ce n’est pas la provenance des joueurs, l’important, c’est de gagner. OK. Le problème, c’est que le CH ne gagne pas. Que toute une génération de vaccinés n’a jamais vu de bras meurtris lever la Coupe Stanley. Bref, les joueurs choisis, au lieu des joueurs québécois, ne nous ont pas permis de nous élever, au contraire.

Lundi, pendant que le CH était en manque de Flying Frenchmen, cinq Québécois patinaient pour le Lightning de Tampa Bay. L’équipe qui a gagné la Coupe, l’année dernière. Et qui a plus de chances que nous de la gagner cette année. ​

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Le Québécois Yanni Gourde, du Lightning de Tampa Bay, en compagnie de ses coéquipiers Brayden Point et Alex Killorn

Je dis : « que nous ». Le Canadien est toujours mon équipe. Malgré l’affront du 10 mai. Un lien centenaire, ça ne se défait pas en quelques années. Mais faut pas en abuser. Ç’aurait été facile d’éviter la rupture avec l’histoire. La formation n’est pas constituée d’intouchables. On venait d’en perdre trois de suite. Un Ouellet, un Belzile n’auraient pas nui. Surtout qu’on a perdu les deux suivantes.

Si le Tricolore continue d’oublier ses couleurs, sa business va s’en ressentir. L’adhésion sera moins totale. Et elle finira par s’effriter, si les insuccès continuent de s’accumuler.

En attendant, à défaut d’avoir des joueurs de chez nous, peut-on, au moins, avoir des joueurs qui respectent la clientèle ? Depuis Vincent Damphousse, aucun capitaine n’a daigné nous dire deux phrases en français. Patrice Bergeron, le capitaine des Bruins de Boston, vient de L’Ancienne-Lorette, ça ne l’empêche pas de parler en anglais aux Bostonnais. Pourquoi le nôtre n’apprend-il pas quelques french words ?

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La capitaine du Canadien, Shea Weber

Ce n’est pas une question de nationalisme, c’est une question de politesse. Pourquoi les Bob Gainey et Larry Robinson étaient-ils capables de le faire ? Pourquoi n’a-t-on plus à cœur les gens qu’on représente ? Pourquoi personne ne le sensibilise à notre cause ? Ce n’est pas si compliqué que ça.

Une star du rock, en un soir, au Centre Bell, baragouine plus de mots en français qu’un capitaine de la Sainte-Flanelle durant tout son règne.

On tient les fans du Canadien pour acquis. Dans toutes les business, on essaie de séduire le client. Pas le CH. On ne sent pas le besoin. Le Canadien a été pendant tellement longtemps au diapason de sa ville, l’a tellement galvanisée, enchantée, qu’on surfe là-dessus. La vague est en train de s’aplatir. Vous feriez mieux de battre Toronto pour la revigorer un peu.

Peu importe son domaine, sa fonction, il ne faut jamais oublier d’où l’on vient. Il ne faut jamais oublier son nom : le Canadien, avec un e, de Montréal.