C’est par tirage au sort que sont désignés ces temps-ci les réfugiés qui pourront être parrainés. Pour leurs proches et pour des organismes communautaires, cette façon de faire, qui sépare des familles, est inhumaine et incompatible avec les valeurs du Québec.

En conférence de presse jeudi, Bénie*, une Québécoise d’origine burundaise elle-même parrainée par les Jésuites en 2003, a fait un long plaidoyer contre le système actuel. Désireuse de redonner ce qu’elle a elle-même reçu, elle tente de faire venir ici quatre frères dans la vingtaine. « Mais si deux d’entre eux sont tirés au sort et pas les deux autres, comment feront-ils pour laisser leurs frères derrière eux ? »

Ce qu’il faut comprendre, dit-elle, c’est que les réfugiés vivent dans des conditions extrêmement difficiles et que leur vie est sens dessus dessous. « Quand tu es réfugié, tu n’as nulle part où aller, tu n’es plus dans ton pays, tu n’as pas de travail. Les journées sont longues. »

Devoir prendre la décision de laisser derrière ses proches à la suite d’un tirage au sort est tout simplement trop déchirant, à son avis.

« La crainte des gens, c’est souvent que les réfugiés qui arrivent ici vivent de l’aide sociale, poursuit Bénie. En fait, le gouvernement n’a rien à débourser pendant un an, ce sont les parrains et les marraines qui prennent tout en charge au départ. »

« Le Québec ne peut pas laisser le destin de familles entières entre les mains du hasard », renchérit Neal Santamaria, coordonnateur du volet parrainage à la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, qui regroupe 150 organismes voués à la défense des droits et à la protection des personnes réfugiées, immigrantes ou sans statut au Québec.

Enquêtes et plafond

Le problème, à la base, c’est que des allégations de fraude ont touché récemment des organismes qui auraient soutiré d’importantes sommes d’argent à des réfugiés et à leur famille, sans les aider ensuite.

Cela a refroidi Québec. Jusqu’en novembre, le temps de conclure les enquêtes à ce sujet, les organismes sont empêchés de faire du parrainage. Le nombre total de demandes de parrainage traitées par Québec a été plafonné à 750.

Pour Norbert Piché, directeur national du Service jésuite des réfugiés, ce tirage au sort est inadmissible. « Pourquoi suspendre les demandes de tous les organismes jusqu’en novembre parce que quelques-uns sont soupçonnés d’irrégularités ? »

C’est aussi ce que se demandent les Oblates franciscaines de Saint-Joseph, des religieuses qui ont notamment parrainé des centaines de Syriens.

Andrés Fontecilla, député de Québec solidaire, est tout aussi démonté. À son avis, au lieu de décourager les gens de parrainer des réfugiés, le gouvernement devrait les encourager dans cette voie « qui change une vie », y compris pour les Québécois.

Que l’on agisse ainsi, par loterie, pour des personnes en situation d’extrême précarité « soulève une question éthique ».

Une méthode plus équitable, selon Québec

Au cabinet de la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Nadine Girault, Flore Bouchon, attachée de presse, indique que le tirage au sort « est la solution qui a été préconisée à la suite des recommandations de la protectrice du citoyen. […] Nous avons choisi cette méthode qui est la plus équitable et transparente ».

Mme Bouchon signale que la décision en 2020 d’écarter temporairement les organismes du programme a été motivée « par des allégations sérieuses » touchant l’« intégrité » du programme.

Vu les enquêtes en cours, le cabinet de la ministre ne peut commenter davantage la situation, mais assure que la mise à l’écart des organismes est temporaire.

*Par crainte de nuire à l’avancement de son dossier, Bénie a préféré que son nom complet ne soit pas publié.