(Trois-Rivières) Joyce Echaquan « avait peur » de se faire soigner à l’hôpital de Joliette, ont rapporté ses proches au jour un de l’enquête publique du coroner sur la mort de l’Atikamekw. Son conjoint a révélé qu’elle aurait eu précédemment « des pressions » pour subir trois avortements et une ligature des trompes.

Les larmes ont coulé jeudi au palais de justice de Trois-Rivières. Des membres de la famille Echaquan ont apporté un premier éclairage sur les derniers jours de la mère de sept enfants, originaire de Manawan.

« Je suis là parce que je veux que justice soit faite, pour que personne n’oublie Joyce Echaquan », a lancé sa fille aînée, Marie Wasianna Echaquan Dubé. Dans la vingtaine, la jeune femme avait un message pour ceux qui étaient au chevet de sa mère le jour de sa mort.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Me Géhane Kamel, coroner

« Je suis ici pour répondre à cette question qu’on a posée à ma mère avec violence », a-t-elle exprimé avec aplomb, en français.

Dans la vidéo troublante des dernières heures de Joyce Echaquan – diffusée en direct sur Facebook par elle-même – on entend une soignante lâcher : « Qu’est-ce qu’ils penseraient, tes enfants, de te voir comme ça ? » Mme Echaquan se tord alors de douleur et implore qu’on « vienne la chercher ».

« Je veux que tout le monde sache ce qu’on nous a pris », a-t-elle lancé. Une proche lui caressait l’épaule. Elle a parlé d’une mère aimante, proche des siens.

« C’est injuste. Ceux qui ont agi en monstres plutôt que d’honorer leur profession, eux, ils sont rentrés chez eux. Eux, ils peuvent passer du temps avec leur famille alors que nous, tes enfants, nous ne pourrons plus jamais avoir le plaisir de rire avec toi », a-t-elle poursuivi, calme.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Un fils de Joyce Echaquan tient un portrait de sa mère lors d’une veillée à la mémoire de l'Atikamekw devant l’hôpital de Joliette en septembre dernier

« Elle était anxieuse »

Dans un témoignage de près de deux heures, Carol Dubé a rapporté que sa conjointe « était anxieuse » lorsqu’elle devait se rendre à l’hôpital de Joliette. La mère de Joyce Echaquan, Diane Dubé, et sa fille aînée ont affirmé la même chose. Joyce Echaquan souffrait d’insuffisance cardiaque et de diabète. Elle avait un suivi régulier à l’hôpital de Joliette.

Le 26 septembre, elle a quitté en ambulance son domicile de Manawan vers l’hôpital de Joliette à 200 kilomètres. Elle se plaignait de douleurs importantes au ventre. Carol Dubé est demeuré à la maison avec les enfants. Il a échangé au téléphone et par textos avec sa femme jusqu’au 28 septembre.

Ce sont des proches alarmés par ce qu’ils avaient vu sur les réseaux sociaux le lundi, qui ont alerté M. Dubé. Aussitôt, il a tenté à trois reprises de joindre quelqu’un à l’hôpital. Deux fois, on lui aurait raccroché la ligne. La troisième fois, après une attente d’une vingtaine de minutes, c’est lui qui a raccroché.

Entre-temps, l’aînée qui se trouvait dans un foyer de Joliette met le cap sur l’hôpital. Elle vient de tomber sur la vidéo. En arrivant, elle retrouve sa mère inconsciente, le corps froid. « Je pensais en la regardant qu’elle était morte », raconte Marie Wasianna Echaquan Dubé, étouffée par l’émotion.

Sa mère a le ventre gonflé, le visage et les doigts bleutés, rapporte-t-elle. Dans les minutes qui suivent, le personnel transporte Mme Echaquan en salle de réanimation. Selon l’aînée, des mesures de contention physique étaient installées aux mains, aux pieds et sur le ventre de sa mère.

« Même quand elle était morte, elle était encore attachée », assure-t-elle.

Carol Dubé et Diane Dubé sont toujours à Manawan et essaient de comprendre ce qui se passe. Ils sont emmenés chez une tante. C’est à ce moment qu’on les informe que Joyce Echaquan est décédée. Le choc est immense. Carol Dubé regardera alors pour une première fois les vidéos.

Diane Dubé ne le regardera jamais.

Un enquêteur de la Sûreté du Québec a affirmé jeudi que c’est une des employées au chevet de Mme Echaquan qui a mis fin à la diffusion en direct. Cette même personne a aussi supprimé la vidéo du compte Facebook. Selon lui, les évènements n’ont rien de nature criminelle.

La cause exacte du décès n’a pas encore été révélée à ce stade-ci. Carol Dubé a été rencontré par un médecin de l’hôpital le 29 septembre. On lui aurait indiqué qu’il s’agissait d’une mort naturelle.

Le personnel infirmier et médical impliqué dans les évènements sera entendu la semaine prochaine.

Pas la première fois

Selon le récit des proches, ce n’est pas la première mauvaise expérience que vivait l’Atikamekw aux mains des services de santé. Son conjoint a rapporté qu’elle avait subi au fil des dernières années trois avortements. À deux reprises, elle en était à 25 semaines de grossesse.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Carol Dubé, le mari de Joyce Echaquan, pleure avant la tenue de l’enquête publique du coroner devant le palais de justice de Trois-Rivières.

Selon M. Dubé, on lui aurait « fait des pressions » pour qu’elle choisisse l’avortement. Joyce Echaquan souffrait de problème de santé depuis son sixième enfant, en 2014. Ces grossesses étaient donc risquées pour elle. Le couple s’était même enfui de l’hôpital pour éviter de mettre fin à une grossesse.

Ces avortements ont profondément bouleversé Mme Echaquan. Après la naissance du dernier de ses enfants, en 2019, elle a subi une ligature des trompes. « Elle ne voulait pas se faire ligaturer, avec les pressions, elle a dû accepter », a affirmé son conjoint. Une décision qu’elle aurait par la suite regrettée.

À d’autres occasions, lors de suivis médicaux, la défunte aurait rapporté à M. Dubé que le personnel soignant était « déplaisant ». Sa fille aînée a relaté que sa mère lui avait dit que lorsqu’elle se présentait à l’hôpital, on lui a déjà dit : « Tu viens encore chercher ça », en faisait référence à des calmants. En 2017, M. Dubé a également allégué qu’une infirmière « avait pincé » Mme Echaquan.

Quelques citations

Le deuil, on ne l’a pas fait encore. Je ne sais pas du tout ce que vivent mes enfants ni moi-même. […] Le processus est trop tôt pour dire ce qu’on ressent. C’est la chose la plus tragique que j’ai vécue dans ma vie, de perdre Joyce comme ça.

Carol Dubé, conjoint de la défunte

Vous allez quitter d’ici avec des réponses. […] C’est important pour moi de vous offrir mes condoléances. Je veux vous remercier pour votre courage. Je ne peux pas vous serrer dans les bras, ça ne se fait pas. Mais, vous comprenez l’intention ?

La coroner Me Géhane Kamel, qui est descendue de sa place pour parler à M. Dubé après son témoignage.

Le professionnalisme [de MKamel] se fait très très rassurant pour les témoins qui se présentent à la barre. […] Ça me permet déjà d’avoir confiance en ce processus.

Paul-Émile Ottawa, chef de Manawan

On espère aussi que cette enquête-là va permettre de faire la lumière non seulement sur ce qui est arrivé à Joyce, mais aussi sur des enjeux davantage systémiques, notamment au niveau de l’accès aux soins de santé.

MPatrick Martin-Ménard, avocat de la famille Echaquan