Je cite Bernard Lachance, figure de proue du conspirationnisme québécois : « Les pandémies n’existent pas. Ni SRASCOV2 Ni VIH. Et il n’y a pas eu de grippe espagnole causée par un virus il y a cent ans. La franc-maçonnerie existe depuis plus de 300 ans et les mensonges mondiaux ne date pas d’hier. La virologie est une religion moderne. »

Ce genre de folie qui, jadis, vous confinait aux marges du discours socialement acceptable. En 2021, ça vous donne des clics à répétition, de l’attention… de l’amour.

Bernard Lachance est mort, hier.

C’est sa sœur Lise qui en a fait l’annonce sur sa page Facebook : « Je vous informe du décès, ce matin, de mon frère Bernard qui allait avoir 47 ans en juin. Son déni du VIH l’aura mené à sa mort. Ne voulant pas enrichir Big Pharma, il a investi des milliers de dollars dans des produits naturels plein la maison… »

À Tristan Péloquin de La Presse, l’autre sœur de M. Lachance, Marie-Claude, a confié hier que son frère se « purgeait » ces derniers temps des médicaments pris dans sa vie, à l’aide de produits naturels. S’en est suivie une diarrhée qui a duré des semaines : « Quand je l’ai vu pour la dernière fois il y a quelques jours, il était squelettique. »

Lachance était complotiste avant que ce soit à la mode, si je peux dire : il harcelait depuis des années le DRéjean Thomas, son ancien médecin, Réjean Thomas qui soigne les porteurs du VIH avec le traitement miraculeux qui a sauvé des millions de personnes : la trithérapie.

Bernard Lachance ne croyait pas à la trithérapie. Il avait cessé depuis des années de prendre ses médicaments, qui réduisent — pour la plupart des malades — le VIH à une maladie chronique avec laquelle on vit, par opposition à une maladie qui vous tue, comme c’était jadis le cas.

J’ai échangé hier avec Vincent Audet-Nadeau, qui connaissait Bernard Lachance depuis leur enfance à Montmagny, près de Québec. Il admirait le front de bœuf de Bernard Lachance, cette audace qui lui faisait défoncer des portes, qui l’avait fait atterrir sur le plateau d’Oprah Winfrey aux États-Unis, qui l’avait poussé à louer le Centre Bell pour s’y produire.

Mais rien de cela n’avait débouché sur une carrière solide, qui aurait pu le faire vivre, rayonner. Comme des milliers d’autres, côté showbiz, Bernard Lachance fut un feu de paille.

Vincent Audet-Nadeau aurait voulu faire un documentaire sur son ami d’enfance, autour de son refus de la trithérapie. Mais Lachance voulait que ce docu soit une inculpation de Big Pharma. Le documentariste refusait. Il tentait de le raisonner, à coups de faits, d’arguments… Peine perdue.

Il croit, aujourd’hui, s’y être mal pris avec son ami d’enfance : « La raison n’a pas raison de tout. Tout le monde a sa part d’irrationnel, Bernard manifestement pas mal plus qu’un autre… Mais il y avait dans sa manière d’être quelque chose de profondément humain. »

Puis, au gré de notre conversation, Vincent Audet-Nadeau a touché à quelque chose dont j’essaie de deviner les contours depuis un an. Ce désir de briller, chez les fleurons du conspirationnisme : « Bernard cherchait la reconnaissance, en quelque part. Il y a quelque chose de lié au fait d’être reconnu. »

Beaucoup, beaucoup de gens qui avaient, pendant un temps, brillé, eux aussi, dans leurs domaines respectifs… Puis qui ont perdu cette lumière. Et dans les théories fumeuses du négationnisme sanitaire, ils ont (re)trouvé cette lumière.

Des exemples ?

Ken Pereira, les jumeaux Tadros, Lucie Laurier : ils ont tous flirté avec une certaine gloire, qui leur a échappé. Dans le complotisme, ces gens-là ont retrouvé une certaine lumière. Ce matin, chez Paul Arcand, Lise Lachance a expliqué que son frère avait sombré dans le complotisme pour un ensemble de raisons complexes. Parmi celles-ci : « Il a toujours voulu avoir l’attention. » Chez les croisés du complot, il l’avait.

On peut ajouter Alexis Cossette-Trudel et Maxime Bernier, deux idoles du mouvement complotiste. Avec ses deux doctorats, le premier devrait enseigner dans une université ; avec son parcours politique, le deuxième devrait être un poids lourd du Parti conservateur. Les deux sont des blagues sur deux pattes qui rallient les plus illuminés d’entre nous. Ils ne sont pas ce que leurs parcours les destinait à devenir.

Bernard Lachance avait donc frôlé la gloire, la célébrité et le succès dans le monde qui le passionnait : la chanson. Il a trouvé des clics, de la gloriole et une micro-célébrité dans les marécages numériques du complotisme.

Je trouve que les mots de Vincent Audet-Nadeau à propos de Bernard Lachance décrivent bien cet aréopage de personnages qui créent et propagent de la désinformation made in Quebec depuis un an : « Il y a quelque chose de lié au fait d’être reconnu… »

Ce qui m’amène à deux évidences.

Un, le négationnisme sanitaire a fait briller des gens comme ils avaient rarement brillé. La désinformation est un business lucratif, pour le portefeuille ou pour l’ego. Ou les deux.

Deux, en constatant la triste fin de Bernard Lachance : la désinformation tue.

Mais sa mort ne changera rien à la radicalisation des croyants de tout-est-arrangé-avec-le-gars-des-vues : pour eux, déjà, la mort de Lachance a été recyclée en coup fourré de Big Pharma, qui aurait voulu le faire taire.

Ceux-là vandalisent depuis hier la page Facebook de Lise Lachance, la traitant de tous les noms pour avoir osé dire que le déni avait tué son frère.