À Québec, l’opposition est à la fois par terre et nulle part. Elle se partage les miettes de l’électorat.

Même en se mettant à trois, libéraux, péquistes et solidaires ne réussissent pas à battre les caquistes.

Le total des intentions de vote des oppositions ne dépasse pas celui du parti de François Legault, comme le montre le plus récent sondage de Léger Marketing.

> Consultez le sondage Léger

Ces chiffres sont semblables aux sondages internes des partis, me dit-on.

Les vieilles formations politiques sont malades, et ce n’est pas seulement à cause de la pandémie.

Le Parti québécois et le Parti libéral ont plusieurs choses en commun.

Les deux ont élu un nouveau chef durant la pandémie. Paul St-Pierre Plamondon et Dominique Anglade ont chacun été éclipsés par la COVID-19. Et ils traversent aussi une crise identitaire.

Que représentent-ils ? À quoi servent-ils ? Ce n’est pas clair.

Dominique Anglade essaie de rompre avec les années Charest et Couillard. Elle veut renouer avec son électorat nationaliste modéré. Et elle souhaite restructurer le débat sur l’axe progressiste–conservateur, en paraissant plus verte et moderne que François Legault. Et plus jeune aussi, en misant sur la relève comme Marwah Rizqy et André Fortin.

Ce virage reste pour l’instant bien timide. La pandémie agit comme une éclipse médiatique constante. Elle attend le déconfinement pour se définir. Mais elle revient de loin, et le temps lui manquera.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

Pour renouveler son parti, Mme Anglade pourra profiter de départs probables de plusieurs députés chevronnés qui ont atteint l’âge de la retraite. Quelques circonscriptions devraient se libérer d’ici 2022. Mais si les sondages ne changent pas, le recrutement sera difficile.

Les libéraux sont dans un creux historique. À peine 10 % des francophones les appuient. Il ne reste que le noyau dur, en partie anglophone et allophone, à Montréal. Mme Anglade devra les convaincre de reconquérir les électeurs francophones plus âgés qui, sans être de fervents nationalistes, veulent une défense minimale du français et de l’interculturalisme.

Ce qui manque aussi aux libéraux, c’est le Parti québécois. Leur vieil ennemi est trop faible.

Selon Léger, le PQ ne récolterait que 12 % des intentions de vote, et un famélique 15 % chez les francophones. C’est à égalité statistique avec Québec solidaire.

Étrangement, les libéraux et les péquistes sont des alliés. Le principal espoir de Mme Anglade réside dans une remontée péquiste qui diviserait le vote nationaliste.

Mais ce sera ardu. Le PQ traverse encore sa crise existentielle. Le parti veut se recentrer sur l’indépendance. Le problème, c’est que beaucoup la souhaitent sans y croire. Du moins, pas à court terme. Le discours résonne dans le vide.

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Pascal Bérubé, chef parlementaire du Parti québécois, et Paul St-Pierre Plamondon, chef de la formation, en octobre dernier

Que défendent les péquistes ? Il y a les dossiers identitaires, mais le caucus n’est pas tout à fait uni sur le sujet. Cela laisse la langue. Or, la Coalition avenir Québec menace de leur voler l’enjeu.

Pourtant, les caquistes en parlaient peu. Même s’ils ont déposé un rapport en 2016, ils n’en faisaient pas une priorité dans l’opposition ni en début de mandat.

Certes, le chef parlementaire Pascal Bérubé attaque le gouvernement pour l’expansion du cégep Dawson et du campus de McGill sur le site du Royal Victoria. Mais les péquistes n’ont pas encore déposé leur plan officiel, et leur volte-face sur la loi 101 au cégep a été aussi étonnante que tardive.

Avant de prendre le pouvoir, la Coalition avenir Québec avait réussi à cibler un petit nombre de priorités pour se donner une identité précise et distincte de ses adversaires.

Face aux libéraux et aux péquistes, beaucoup se demandent : que deviennent-ils ? Que proposent-ils aujourd’hui, exactement ?

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Pour Québec solidaire, le problème est ailleurs.

À l’Assemblée nationale, la formation de gauche est celle qui se distingue le plus du gouvernement caquiste. Son positionnement idéologique est fort. Mais le parti est en crise de croissance.

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Gabriel Nadeau-Dubois, à l’arrière-plan, et Manon Massé, les deux co-porte-parole de Québec solidaire

On a longtemps qualifié le PQ de parti chicanier. Le titre revient maintenant aux solidaires.

Une minorité hyperactive de ses militants se spécialisent dans la mutinerie. Au début de la pandémie, ils ont critiqué l’attitude coopérative de leurs députés avec le gouvernement. Et ils s’emploient à dénoncer le racisme qui sévirait dans leur parti, pourtant le plus inclusif.

Il est acquis que Québec solidaire défendra la veuve et l’orphelin. Depuis ses débuts, on salue le travail de « conscience morale » de l’Assemblée, pour mieux le cantonner dans ce rôle d’éternel tiers parti.

Des députés solidaires veulent élargir leur électorat.

Après tout, la politique vise à changer les choses, et pour cela, le pouvoir aide… Or, des militants agités sabordent chacun de ces efforts.

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La Coalition avenir Québec plane, mais la loi de la gravité l’attend. Elle ne peut que redescendre.

Le principal danger pour elle est de se mettre sur le pilote automatique, sans voir les courants qui lui feront perdre de l’altitude.

Certes, la campagne de vaccination se passe bien, et le Québec combat mieux la troisième vague que les autres provinces. Mais faire campagne sur son bilan n’est jamais une bonne idée.

Leur stratégie se dessine déjà.

Rallier l’électorat nationaliste en promettant de recourir à la « clause dérogatoire » pour protéger les lois sur la laïcité et le français.

Miser aussi sur un déficit plus faible que prévu, pour éviter le débat sur l’austérité.

Et il n’est pas impossible que M. Legault déterre de vieux engagements, comme celui de moderniser l’État québécois, un élément un peu oublié depuis son élection.

Je sais, on n’est qu’en mai 2021. Il reste encore 17 mois avant la campagne électorale. Mais c’est peu de temps en politique. Pour les partis de l’opposition, le tic-tac de l’horloge résonne de plus en plus fort.