Dès l’annonce de sa nomination, en janvier, comme première commissaire à la lutte au racisme et aux discriminations systémiques à la Ville de Montréal, Bochra Manaï a dû faire face à quelques vents contraires.

Elle n’avait même pas encore mis les pieds dans son bureau de l’hôtel de ville que son embauche a été qualifiée « d’erreur » par le gouvernement Legault, qui lui reproche ses prises de position contre la loi 21. S’en est suivie une controverse qui lui a valu son lot d’insultes. Il lui a fallu se mettre à l’abri des réseaux sociaux, fermer son compte Twitter.

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Bochra Manaï, commissaire à la lutte au racisme et aux discriminations systémiques à la Ville de Montréal

Mercredi, 24 heures avant de présenter publiquement les membres de son équipe, une nouvelle controverse attendait la commissaire à la lutte au racisme, gracieuseté de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, cette fois. Dans un courriel à ses membres, la Fraternité s’indigne de l’embauche au sein de son cabinet d’Alain Babineau, ex-policier de la Gendarmerie royale du Canada devenu un critique de la police. Un critique trop critique, aux yeux du syndicat, qui reproche à M. Babineau d’être un « militant » trop prompt à combattre le profilage au sein de la police, ce qu’il entend précisément faire. Bonjour l’ambiance…

Lisez l’article de Philippe Teisceira-Lessard 

Bref, de toute évidence, il n’y en aura pas de facile pour la commissaire à la lutte au racisme.

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Dans l’ordre habituel : Nathalie Carrénard, Diaka Cissé, Bochra Manaï et Alain Babineau, membres de l’équipe de lutte contre le racisme et les discriminations systémiques à la Ville de Montréal

Même si son entrée en poste a été pour le moins houleuse, Bochra Manaï ne regrette rien et entend bien garder le cap.

« Je ne me serais jamais embarquée là-dedans si je ne savais pas que j’avais les reins solides, la tête solide et surtout la sensibilité au bon endroit. Ce qu’on entend, c’est dur, c’est difficile. Mais si l’on n’a pas le courage de regarder avec courage les choses qui sont sensibles et difficiles, on ne va jamais y arriver. »

Bien sûr que le débat sur la lutte contre le racisme est très polarisé. Mais sa trajectoire lui permet de relativiser les choses tout en gardant en tête ce qui l’anime. « Moi, personnellement, ma vie intime et ma vie familiale ont fait en sorte que j’ai vécu pire que ce qui arrive en ce moment. J’ai grandi dans la dictature tunisienne », dit-elle en évoquant le fait que son père y a subi de la torture.

Alain Babineau n’a pas été étonné par la déclaration de la Fraternité des policiers à son sujet. « J’ai passé 30 ans baigné dans la culture policière. J’aurais été surpris s’il y avait eu une déclaration différente. La Fraternité fait sa job. Elle présente, au nom de ses membres, les préoccupations de certains policiers. »

Est-ce que cela est représentatif de l’avis de l’ensemble des policiers quant à la nécessité de combattre le profilage racial ? Les échos sur le terrain lui donnent à croire que non. « La voix qu’on n’entend jamais, c’est celle des policiers parce qu’ils sont restreints dans ce qu’ils peuvent dire publiquement. »

L’étonnement de l’ex-policier est ailleurs. « C’est la première fois qu’on me donne un titre de militant ! Ça, je suis un peu surpris… »

Les gens « neutres » et « impartiaux », c’est bien connu, sont toujours ceux qui pensent comme nous. Tous les autres sont de vilains militants radicaux…

Pour ma part, je suis surprise que l’on soit surpris que l’on nomme des antiracistes dans un bureau antiraciste. Ou un ex-policier ayant à cœur la lutte contre le profilage au sein de la police pour… lutter contre le profilage au sein de la police.

Je trouve aussi troublant de voir comment le mot « militant », désignant à la base une personne qui agit pour une cause, est devenu une insulte quand la cause en question est impopulaire et que cela remet en question les structures du pouvoir.

Bochra Manaï en sait quelque chose. Au lendemain de sa nomination, on l’a réduite à son seul statut de militante anti-loi 21 (un enjeu qui n’a rien à voir avec son présent mandat) plutôt que de mettre au premier plan ce qui la qualifie réellement pour ce poste de commissaire antiracisme : un doctorat en études urbaines, des travaux de recherche portant sur l’immigration et les dynamiques d’exclusion et d’inclusion ainsi qu’une expérience communautaire sur le terrain à Montréal-Nord.

On a aussi ressorti une citation hors contexte pour lui prêter des idées qui ne sont pas les siennes.

« Je mentionnais dans un discours un article du Soleil qui disait qu’Alexandre Bissonnette avait inspiré l’instigateur de l’attentat de Christchurch. Évidemment, je ne disais pas que les Québécois étaient tous des suprémacistes ! Ce n’était pas du tout mon propos. »

Ce n’était pas du tout son propos. Mais c’est tout ce qui a été retenu. « La chercheuse en moi est fascinée de voir, alors que j’ai écrit 15 millions d’affaires, qu’on m’a réduite à cette phrase-là pour disqualifier tout ce que je peux dire de complexe. Cette citation arrange ceux qui ne veulent pas voir les antiracistes comme des gens qui construisent. »

Quoi qu’il en soit, Bochra Manaï n’est pas du genre à se laisser démonter.

Je pense qu’en ce moment, pour dépolariser la conversation, il faut des personnes qui puissent s’asseoir au centre et qui disent : voici comment on renoue, voici comment on retisse, voici comment on réduit le fossé entre les institutions et certaines parties de la société et de la métropole.

Bochra Manaï

C’est précisément le mandat de son équipe, chargée de mettre en place les recommandations du rapport de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM).

Alain Babineau sera responsable des dossiers de profilage racial et social. Il devra donner suite aux recommandations qui concernent le Service de police de la Ville de Montréal et la Société de transport de Montréal.

Nathalie Carrénard, forte d’une expérience au service des ressources humaines de la Ville, travaillera aux recommandations liées à la représentativité et à l’inclusion dans l’administration. « On ne peut pas juste se permettre de s’asseoir et d’attendre que la représentativité arrive. Il faut la faire arriver. »

Diaka Cissé, qui a travaillé pendant plusieurs années au Service de sécurité incendie de Montréal, occupe quant à elle le poste d’assistante de direction pour veiller à l’avancement des travaux. « C’est un travail de titan. Un gros combat qu’on doit mener pour lutter contre ce fléau dont souffre la société. »

La devise de l’équipe ? « Quand on veut, on peut. Et quand on peut, on doit. »

Il ne leur reste plus qu’à faire ce que doit.

Consultez le rapport de l’OCPM