Chez les acteurs comme chez les politiciens qui ont connu le succès, on en voit qui s’incrustent tellement dans leur personnage qu’ils finissent en se caricaturant eux-mêmes. 

Régis Labeaume a fait le chemin inverse. Il a commencé en jouant trop gros et il finit dans la subtilité. Il a commencé en personnage de lui-même et pendant 14 ans, on dirait qu’il s’est démaquillé tranquillement pas vite sous nos yeux.

Je dis « sous nos yeux », parce que l’homme a vite acquis un statut national. Pas seulement par ses coups de gueule, mais aussi par son courage politique. Il a servi non seulement la Ville de Québec, qu’il a « dans la peau » comme il disait mercredi, mais toutes les villes du Québec. Il n’a pas eu peur de mettre dans l’« agenda politique » la crise des finances publiques des villes, sujet pas du tout sexy, ni payant politiquement, qu’évitent avec une superbe constance les maires de Montréal, entre autres.

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Le maire Régis Labeaume, en conférence de presse, mercredi

On ne peut pas oublier l’arrivée en scène de Régis Labeaume, après la mort subite de la mairesse Andrée Boucher. Les fusions étaient encore toutes fraîches et les fêtes du 400e anniversaire de la première ville du Québec s’annonçaient désastreuses. Elles ont été un triomphe.

Réélu en 2009 avec 80 % des voix, Régis Labeaume marchait sur les eaux. Il était question du retour des Nordiques, des Jeux olympiques, et quoi encore ? Feu Roger D. Landry, ancien président et éditeur de La Presse, disait que dans une rencontre impromptue, le maire Labeaume lui avait glissé : « Coudonc, Roger, une équipe de baseball, ça coûte combien ? » On n’est pas totalement certain si c’était une blague…

Il n’y avait pas moyen de résister à sa force d’attraction politique. Le gouvernement Charest a appuyé sans hésiter le projet d’amphithéâtre Vidéotron. Tout devait avancer, tassez-vous d’là !

C’est l’époque où il avait embauché un fumiste de classe mondiale, Clotaire Rapaille, autoproclamé génie du marketing (surtout de sa propre personne), venu « psychanalyser » Québec pour le propulser dans un avenir radieux.

Un truc bien avec Régis Labeaume, c’est qu’autant il fonce en taureau, autant il est capable de dire rapidement : je me suis planté.

En 2013, les radios privées mangeaient encore dans sa main. Il avait encore ce ton cassant, volontiers baveux, qui faisait recette. Un mélange de parler-vrai et de provocation. L’opposition venait surtout sur sa gauche. Il était l’homme de l’élargissement des autoroutes. Je l’avais rencontré à l’hôtel de ville, aussi bien dire chez lui.

« L’idée qu’on va contraindre les gens à prendre l’autobus avec des voies réservées, c’est complètement capoté, c’est fou, fou, fou. Tu vas les convaincre pour des raisons économiques ! Restreins les automobilistes, écœure-les, pis demande-leur de voter pour toi pour faire un tramway. Hé ! Allô, la Terre, stie, ça marche pas. »

Interrogé sur son ton et sa façon de revirer les journalistes, voire de les boycotter, il avait dit : « Je valorise l’intelligence, alors quand je vois une question cave [d’un journaliste], j’ai envie de tuer ! Mais j’ai fini par comprendre. Y font leur métier, ils essaient de me pomper… »

Sur les syndicats : « Les syndicats veulent pas que je parle du plus gros problème de Québec pendant la campagne électorale ? Ils m’accusent de négocier de mauvaise foi ! Allô ? Je suis en dé-mô-cra-tie. T’es-tu en train de me dire que les lois du travail interfèrent avec les élections ? Eux, y ont le droit de dire n’importe quoi, sortir les gros bras, blasphémer, pis moi, faudrait que je sois un petit oiseau ? »

Il y a eu des conflits, des poursuites à la suite de ses propos injurieux.

Mais cette année-là, il a été réélu avec 74 % des suffrages.

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Je l’ai revu en 2017, pendant la campagne. Ce n’était plus le même homme. Ni le ton. Ni le discours. Ni le projet. Il parlait de laisser la place aux idées nouvelles, pas à celles d’un « vieux maire de 61 ans ».

D’abord, il n’était pas encore remis de l’attentat de la Grande Mosquée de Québec. Il était à peine capable d’en parler. Six morts, huit blessés dans ce lieu de prière.

Soudainement, des sujets graves, douloureux occupaient le maire. Quand une ville voisine, après un référendum, avait refusé l’installation d’un cimetière musulman, pendant qu’on colportait toutes sortes de faussetés dans les radios, il avait pris les choses en main, trouvé un terrain, réglé le problème. La « moindre des choses » qui n’allait pas forcément de soi dans le climat douteux du moment.

Il ne fanfaronnait plus. Il ne donnait pas l’impression de chercher des gens avec qui se battre.

Va falloir expliquer que le Québec va changer, qu’on va devoir vivre ensemble et va falloir qu’on s’aime. J’entends pas ce discours-là, j’entends surtout l’inverse.

Régis Labeaume, maire de Québec

Ça ne l’empêchait pas d’aller voir les promoteurs en congrès et de leur dire : « C’est-tu obligé d’être laid, vos affaires ? Ça vous tenterait pas de faire des affaires un peu belles, des fois ? Moi, je vais pas inaugurer votre building si y a pas d’art urbain. C’est un peu baveux, mais c’est ça. »

On ne se refait pas complètement, évidemment. Tant mieux.

Et puis, tout d’un coup, ou plutôt après toutes sortes de discussions sur le transport, il a décidé que son legs, ce ne seraient pas des Jeux olympiques ou un autre évènement spectaculaire, mais un tramway. Et tout en sachant que ce serait son dernier mandat (le bruit courait déjà il y a quatre ans), il a utilisé ce qu’il lui restait de « capital politique » pour que cela arrive : l’appel d’offres est lancé.

Quand on pense au politicien carré qui faisait son entrée en scène en 2007, on se rend compte à quel point il a fait évoluer de manière radicale sa vision de la ville et de la vie en ville. Il quitte la vie publique dans la meilleure incarnation de lui-même, ce qui n’est pas donné à tous les gestionnaires de la chose publique.