Il n’est pas habitué aux projecteurs. Pendant des années, c’était lui que les procureurs appelaient pour demander conseil sur des points de droit épineux. Mais il jouait son rôle dans l’ombre. Désormais, ce sera lui qui prendra la chaleur. Nommé directeur des poursuites criminelles et pénales par l’Assemblée nationale la semaine dernière, Patrick Michel est conscient du défi qui l’attend. « Il y a des attentes plus élevées que jamais », dit-il.

Mars 2007. Alors que la campagne électorale bat son plein, le Québec est encore sous le choc de l’attaque perpétrée quelques mois plus tôt au collège Dawson. Un tueur armé jusqu’aux dents avait fait 19 blessés. Une élève, Anastasia De Sousa, avait perdu la vie. Le bilan aurait pu être bien pire si un policier du SPVM n’avait pas neutralisé le tueur in extremis grâce à un tir extrêmement difficile à réussir.

Le premier ministre sortant, Jean Charest, est invité à Tout le monde en parle. L’animateur Guy A. Lepage lui demande quelle est la première loi qu’il fera adopter s’il est reporté au pouvoir.

« J’aimerais qu’on adopte une loi au Québec qui va contrôler les armes semi-automatiques et leur transport. Une des choses [les plus difficiles] que j’ai vécues, depuis que je suis premier ministre du Québec, c’est l’affaire de Dawson College. Un drame terrible », explique le politicien aguerri.

« Ce sera la première loi qu’on va proposer à l’Assemblée nationale », annonce M. Charest solennellement.

Le Parti libéral est réélu de justesse et peu après, le ministre de la Justice Jacques Dupuis se retrouve dans une impasse : son premier ministre a promis d’agir, mais le Québec ne semble pas avoir de prise pour légiférer sur cet enjeu de compétence fédérale. De hauts fonctionnaires lui suggèrent de consulter un jeune procureur de la Couronne très ferré en droit : MPatrick Michel.

« Je l’ai rencontré. Il était jeune, c’était un petit bonhomme compétent, très sympathique. Je lui ai dit : est-ce qu’il y a moyen de trouver quelque chose ? », se souvient M. Dupuis.

Rapidement, MMichel trouve une astuce qui sort des sentiers battus. Le Code criminel et la Loi sur les armes à feu relèvent d’Ottawa, mais le Québec a une grande latitude pour légiférer dans des champs comme l’éducation. Le gouvernement fera donc adopter la « loi Anastasia », qui interdit la possession d’armes à feu dans les établissements d’enseignement et les garderies, et force les enseignants à signaler tout comportement inquiétant impliquant des armes à feu.

« C’est lui qui a trouvé le moyen de contourner le fait qu’on ne pouvait pas légiférer sur les armes à feu. Et évidemment, je l’ai trouvé super brillant. La loi a été adoptée et elle n’a jamais été contestée devant les tribunaux », se souvient Jacques Dupuis. L’ex-ministre, qui dit avoir été conquis par l’intelligence du procureur, lui a ensuite demandé un coup de main lorsqu’il s’est rendu à Ottawa plaider pour le maintien du registre des armes à feu, en 2010.

« Parcours atypique »

Souvent sollicité pour ses conseils, MPatrick Michel reconnaît que pour un procureur, il n’a pas passé beaucoup de temps en procès. « J’ai un parcours de procureur un peu atypique », confie-t-il en entrevue.

De 2007 à 2013, il était en prêt de service au ministère de la Justice comme conseiller. Par la suite, il était à la tête d’une équipe qui fournit des conseils sur le droit à tous les procureurs du DPCP.

« Quand on était sur le terrain, qu’il y avait une requête particulière ou une objection et qu’on avait juste l’heure du lunch pour préparer une réponse, c’est son équipe qui venait en renfort sur des questions de droit et de jurisprudence. Il a toujours été très disponible et il ne comptait pas ses heures. On pouvait l’appeler la fin de semaine quand on voyait des problèmes se profiler », raconte MBrigitte Bishop, inspectrice générale de Montréal et ancienne procureure de la Couronne.

Un confrère l’a qualifié jeudi de « Wayne Gretzky » du droit, réputé pour la finesse de ses analyses juridiques. D’autres procureurs qui sont dans les tranchées chaque jour et qui encaissent les coups depuis longtemps disent toutefois espérer un patron qui ne fait pas seulement dans l’analyse fine, mais qui sait aussi laisser tomber les gants.

« Il y a [des gens] dans cette institution qui ont peur de faire des erreurs, qui ont peur d’être blâmés. J’espère qu’il va être exigeant, qu’il va défendre la population et demander des peines sévères, être tough sur la criminalité », martèle l’avocat et ex-ministre de la Justice Marc Bellemare.

Travailler le message

Patrick Michel reconnaît qu’il prend les rênes d’un organisme qui fait face à de gros défis.

Il y a d’abord cette perception, alimentée par les acquittements d’Éric Salvail et de Gilbert Rozon, selon laquelle les accusés sont toujours acquittés dans les dossiers d’agression sexuelle. Une meilleure communication de la part du DPCP pourrait changer cette vision, croit-il. Car depuis 2016, les procès impliquant une accusation d’agression sexuelle se soldent par une condamnation dans 60 % à 62 % des cas.

Ce n’est pas dans notre culture de mettre en valeur les statistiques de condamnation. Mais on doit peut-être travailler notre message pour que ça se rende aux victimes : on arrive à des condamnations. Et quand des mythes ou des préjugés sur la victime parfaite sont mis de l’avant, on utilise tous les moyens légaux pour s’y opposer.

MPatrick Michel, nouveau directeur des poursuites criminelles et pénales

Il y a aussi l’échec de procès d’envergure dans des dossiers de corruption ou de crime organisé, les relations parfois tendues avec les corps policiers, l’épuisement et la détresse psychologique dont se plaignent plusieurs procureurs.

Pour les policiers, on est mûrs « pour un lac-à-l’épaule », a déclaré MMichel cette semaine. Pour les dossiers d’envergure, il croit qu’on ne verra probablement plus de superprocès comme celui de SharQc, qui s’est terminé en queue de poisson. Il veut « mieux cibler les têtes dirigeantes » du crime organisé et améliorer le partage de la charge de travail avec d’autres organismes comme l’Autorité des marchés financiers et Revenu Québec.

Une de ses priorités sera de maintenir à jour les compétences des procureurs en matière de cybercriminalité, un domaine où tout évolue très vite. « Si on arrive demain matin avec un gros dossier de blanchiment d’argent international par cryptomonnaie, on trouvera certainement des procureurs pour le faire. Mais il faut être humble et réaliste aussi, continuer à s’adapter aux nouvelles tendances », dit-il.