Alors que la pénurie de logements donne l’embarras du choix aux propriétaires, des locataires craignent que leur historique au Tribunal administratif du logement (autrefois la Régie du logement) nuise à leur candidature.

En épluchant les annonces d’appartements, Cécile (qui a demandé à ne pas être nommée) a été choquée de voir que les antécédents au Tribunal administratif du logement (TAL) figurent souvent parmi les vérifications annoncées.

Une simple contestation de loyer faite plus de cinq ans auparavant allait-elle lui nuire ? Elle a interrogé trois propriétaires de la région de Montréal. « Les trois m’ont dit : “On n’a pas le temps d’examiner en long et en large les raisons pour lesquelles votre nom apparaît. Avec tous les candidats qui font des demandes, on n’a pas besoin de s’arrêter sur ceux dont le nom sort dans les registres” », raconte Cécile.

Son mari et elle ont de bons revenus, mais elle craint que cette exigence ne nuise à ses futures recherches. « Je pourrais ne pas être capable de louer le logement que je veux parce que j’ai fait une contestation d’augmentation de loyer tout à fait justifiée », déplore-t-elle.

Certaines annonces indiquent même « aucun dossier » ou « aucun document » à la Régie du logement, ou : « Si vous avez déjà eu un dossier à la Régie du logement, vous êtes refusé. »

Lorsque Josée Desmeules a publié sur Facebook le texto d’un propriétaire ayant répondu qu’avec ses quatre enfants, ça ferait « beaucoup de gens dans un 5 et demi », plusieurs lui ont conseillé d’aller au TAL ou à la Commission des droits de la personne. Mais Mme Desmeules, qui, malgré un bon emploi, avait déjà vu plusieurs appartements lui échapper à Nicolet, n’a pas voulu. « S’ils savent que j’ai porté plainte contre un propriétaire, est-ce que je vais être cataloguée, comme sur une liste noire ? »

Mme Desmeules, qui a finalement trouvé, juge néanmoins important de raconter ce qu’elle a vécu, afin de susciter une prise de conscience.

Où s’en va-t-on avec cette société qui ne veut pas qu’on habite avec plusieurs enfants dans les logements ? C’est une injustice inacceptable !

Josée Desmeules, mère de quatre enfants ayant eu beaucoup de difficultés à trouver un logement

La crainte d’avoir un dossier dissuade des locataires d’intenter des recours, confirme Julie Lanthier, du Comité Logemen’mêle, à Saint-Hyacinthe.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Alexandra Gibeault (à gauche) et Julie Lanthier, intervenantes au comité de défense des locataires Logemen’mêle de Saint-Hyacinthe, reçoivent beaucoup plus de demandes cette année à cause de la crise du logement qui sévit dans cette ville.

Une dame qui avait matière à poursuite m’a dit hier : « Julie, j’ai abandonné, je ne veux pas que mon nom se retrouve dans le registre ! »

Julie Lanthier, du Comité Logemen’mêle

Des locataires qui ont « fait valoir leurs droits de manière légitime » peuvent avoir l’air « plus revendicateurs », constate le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ). « On s’est battus farouchement dans les années 1980 pour faire bannir les listes noires », rappelle le porte-parole du RCLALQ, Maxime Roy-Allard. « Maintenant ils ne tiennent plus une banque comme telle, mais ils font du cas par cas. »

Pas interdit

Annoncer des vérifications au TAL n’est pas « discriminatoire » au sens de la Charte des droits et libertés de la personne, indique la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). « Les antécédents judiciaires ne sont pas un motif interdit de discrimination protégé par l’article 10 de la Charte en matière de logement ; ils ne le sont qu’en matière d’emploi », précise la porte-parole de la CDPDJ, Meissoon Azzaria.

Les informations contenues dans les plumitifs étant publiques, les principes de protection des renseignements personnels ne s’y appliquent pas, indique pour sa part la Commission d’accès à l’information (CAI). Par contre, si le propriétaire recueille un renseignement personnel, comme la date de naissance, pour raffiner cette recherche, il doit informer le candidat de l’utilisation qui en sera faite.

« Pour la conclusion d’un bail de logement, il n’est généralement pas nécessaire de collecter cette information [sur les antécédents judiciaires] », a toutefois souligné la CAI dans des dépliants préparés pour la Commission des droits de la personne.

Or, les services d’enquête de prélocation incluent souvent les données du TAL.

Les rapports de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), par exemple, indiquent la date et le motif du recours, et un lien vers la décision si la cause s’est rendue jusque-là.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ)

S’il y a des cas de non-paiement, des troubles de comportement, si le candidat a été expulsé, même avec un bon dossier de crédit, ça va régler le sort assez rapidement.

Hans Brouillette, porte-parole de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec

Par contre, un locataire qui a intenté un recours contre son proprio pour qu’il fasse une réparation ne devrait pas être automatiquement considéré comme un mauvais locataire, dit-il. « En tout cas, j’espère, parce que ce n’est pas le but. » En refusant un locataire pour ce motif, ou sans vérifier pourquoi son nom figure au plumitif du TAL, un propriétaire risque de perdre un bon candidat, fait-il valoir. « Si des gens vont un peu trop vite, c’est préjudiciable pour eux-mêmes. »

Pratiques variables

Le critère du TAL est utilisé de façon très variable, avons-nous constaté en échangeant avec des locateurs.

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Deux personnes qui avaient indiqué « AUCUN Dossier Régie du logement » ont expliqué avoir simplement recopié une autre annonce. L’une a modifié son texte, l’autre a assuré que « tout est négociable ».

Un locateur a indiqué ne « pas être confortable » avec une cause de contestation d’augmentation de loyer perdue au TAL. « L’augmentation du TAL est minime et vous voulez quand même contester. Un propriétaire a beaucoup de frais », a-t-il expliqué par texto.

« Tout s’explique », affirme pour sa part Josué Ponce, propriétaire de bonslocataires.com, dont les annonces affichent « Avec aucun antécédent négatif à la Régie du logement (TAL) ».

Un candidat qui a contesté avec succès une augmentation de 100 $ par mois « n’est pas un mauvais locataire, c’est des droits », dit-il. Par contre, celui qui conteste, sans succès, son augmentation de 5 $ chaque année « va coûter du temps perdu à la Régie » au propriétaire.

Un locataire reconnu coupable de bris ou de ne pas avoir payé son loyer dans son dernier logement, « ça ne passe pas » chez bonslocataires.com. Mais dans le cas d’un candidat jugé coupable en 1999 parce que son colocataire n’avait pas payé le loyer : « Ce n’est pas à cause de ça que je vais dire que vous êtes un mauvais locataire », assure M. Ponce.

La discrimination reconnue

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a ouvert une cinquantaine de dossiers pour discrimination en matière de logement dans la dernière année, mais le sujet suscite, bon an, mal an, environ trois fois plus de demandes, qui ne se transforment pas toutes en plaintes officielles. L’âge, la race, le handicap et la condition sociale sont les motifs les plus fréquents parmi les 14 reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne.

La Commission a lancé le mois dernier une vidéo assez grinçante, intitulée Logement Académie, pour sensibiliser les propriétaires à l’interdiction de sélectionner leurs locataires en fonction de caractéristiques personnelles.

> Regardez Logement Académie

> Voyez la campagne « Louer sans discrimination »