Le chef conservateur Erin O’Toole vient de mettre fin à l’ère du déni.

Son parti cesse de polluer le débat public. Il reconnaît que la crise climatique existe, que les cibles de l’accord de Paris doivent être atteintes et que la tarification du carbone constitue la meilleure façon d’y arriver.

Ce n’est pas banal.

Son plan a le grand mérite d’exister. Il est bon, sauf pour un détail : je ne vois pas comment il pourrait bien fonctionner.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Erin O’Toole, chef du Parti conservateur du Canada

Les conservateurs proposent à la fois l’approche la plus difficile à appliquer et la moins ambitieuse. Mais ne soyons pas trop sévères. Après avoir tant réclamé un plan, il serait ingrat de le torpiller à la première lecture.

M. O’Toole se battait contre son parti.

Il n’y a pas si longtemps, Stephen Harper qualifiait le protocole de Kyoto de « complot socialiste ». Il considérait toute tarification du carbone comme une hérésie.

Au congrès du début avril, les militants conservateurs ont même refusé de reconnaître l’existence des changements climatiques.

M. O’Toole leur a tenu tête. C’est audacieux. Mais d’un autre côté, il n’avait pas le choix. Pour gagner les prochaines élections, il a besoin de nouveaux appuis, particulièrement dans les banlieues de Toronto et de Vancouver. Or, les indécis y sont plus jeunes et sensibilisés à l’environnement.

Le chef ne pouvait plus se contenter de critiquer les libéraux. Il devait à son tour pouvoir se présenter en campagne en disant : « J’ai un plan. »

Ce plan n’avait pas besoin d’être très bon. Après tout, ceux pour qui l’environnement est la priorité ne voteront jamais pour M. O’Toole. La démarche visait moins à séduire les indécis qu’à arrêter de les rebuter.

Il fallait que ces électeurs ne soient plus gênés en votant pour lui. En ce sens, c’est plutôt réussi.

Mais pour les résultats, c’est autre chose.

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Le plan semble avoir été écrit par des stratèges qui cherchaient une façon de réduire les gaz à effet de serre (GES) sans trop contredire leurs critiques passées, tout en se différenciant des libéraux.

Cela donne des mesures étranges.

M. O’Toole reconnaît que la tarification est la mesure la plus efficace, mais il l’affaiblit.

Pour les consommateurs, le prix serait plafonné à 50 $, alors que les libéraux le hausseraient à 170 $. Avec M. O’Toole, polluer coûterait moins cher. Et serait donc plus populaire.

Les conservateurs accusent la « taxe libérale » de hausser le coût de la vie. C’est faux. Un chèque est envoyé aux citoyens, et la majorité d’entre eux reçoivent plus que ce qu’ils payent. Seuls les plus riches sont perdants.

Mais après avoir tant dénoncé cette mesure, M. O’Toole devait proposer autre chose. Il crée ainsi un « compte d’épargne pour la réduction du carbone ».

C’est ici que le casse-tête commence.

Un exemple : vous achetez de l’essence. Les frais de la « taxe carbone » sont crédités à ce nouveau compte d’épargne. Vous pouvez y retirer l’argent pour des achats verts, comme un vélo, un véhicule électrique ou un système de chauffage écoénergétique.

La logique est tordue. Plus on pollue, plus le compte se remplit. Comme si la protection de la planète exigeait de consommer davantage.

Ce ne sera pas facile non plus à gérer. On ignore qui va amasser les données des consommateurs, ou encore comment décider quelles dépenses seront admissibles et comment les surveiller.

La bureaucratie s’annonce étouffante, et les réductions promises sont aussi difficiles à évaluer.

Imaginons une famille avec deux VUS et un chalet, qui fait des balades à vélo la fin de semaine. Le programme conservateur lui offrirait un chèque pour acheter des montures plus performantes, sans que cela réduise ses émissions.

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Pour les grands émetteurs industriels, M. O’Toole réévaluerait la tarification du carbone dans deux ans. Il veut arrimer ce prix à celui de nos principaux partenaires commerciaux. Si cette démarche échoue, il maintiendrait le prix prévu par les libéraux, soit 170 $ d’ici 2030.

Il laisse entendre que le Canada ne doit pas se sacrifier alors que les autres ne font rien. En principe, cela se comprend. Mais dans les faits, le Canada figure parmi les pays les plus énergivores. Nous sommes plus responsables que victimes. Par exemple, l’Union européenne a des cibles de réduction de GES nettement plus contraignantes.

Puisque sa tarification du carbone serait plus modeste que celle des libéraux, M. O’Toole compenserait en misant sur des règlements et des investissements.

Il voudrait entre autres imposer un quota de ventes de véhicules électriques (30 % d’ici 2030). C’est moins que Québec, qui interdira la vente de véhicules à essence en 2035. Mais c’est tout de même mieux qu’Ottawa, qui ne propose rien.

D’autres projets de règlements – pour le carburant faible en carbone et le gaz naturel renouvelable – sont déjà appuyés par le gouvernement Trudeau. Rien de neuf, donc.

Les autres investissements prévus par M. O’Toole, dans la captation du carbone ou l’hydrogène, par exemple, sont certes bienvenus. Mais il est difficile d’imaginer qu’ils suffiraient pour compenser les lacunes du plan.

Les conservateurs ont trouvé une firme, Navius Research, pour dire que leur plan aurait un effet « comparable » à celui des libéraux. Or, les effets du compte d’épargne sont très difficiles à prévoir, et le terme « comparable » est volontairement imprécis…

De toute façon, la cible va bientôt changer.

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Lundi, les États-Unis accueillent un sommet international sur le climat. Justin Trudeau annoncera une nouvelle cible plus exigeante. Selon la rumeur, il promettrait de réduire les GES d’ici 2030 de 40 %, plutôt que de 30 % (par rapport au niveau de 2005).

Tant mieux. Car la cible actuelle avait été fixée par M. Harper, et elle était peu exigeante.

Mais même si le plan conservateur réduirait moins les émissions de GES, on peut aussi voir le verre à moitié plein. Erin O’Toole vient de briser le tabou de la tarification du carbone, et il force ses troupes à reconnaître la menace des changements climatiques. Son plan propose même d’étudier de potentielles « nouvelles taxes » pour ceux qui prennent souvent l’avion ou qui conduisent un véhicule de luxe à essence.

Il aurait difficilement pu aller plus loin sans risquer une mutinerie.

Pour la première fois, tous les partis peuvent débattre de façon à peu près rationnelle de l’avenir de la planète. Il était temps.