L’étoile de Michel Louvain s’allume dans le ciel du Québec à la fin des années 1950. L’industrie musicale est en pleine transformation, à cause d’une récente invention, reine de tous les salons, la télévision. Une chanson, ce n’est plus seulement une voix, un son, c’est aussi, un corps, un look. Les chanteurs deviennent des idoles, comme les stars de cinéma, mais en plus accessibles. Les vedettes des vues, on ne les croise pas dans la vraie vie, alors que celles du disque, oui. Suffit d’aller à leurs spectacles. Et les fans y vont ! En courant, en hurlant, en s’évanouissant.

​Michel Louvain est le premier, chez nous, à déclencher une passion pareille. Il est beau rare. Son bonheur d’être sur scène est contagieux. Et son répertoire est entraînant, sans être dérangeant. À mi-chemin entre le crooner des parents et le yé-yé des enfants. Il triomphe au sommet des palmarès, durant une bonne partie des années 1960. Puis arrivent les Beatles, les Stones, Charlebois, et tout le monde prend un coup de vieux. Même ceux qui sont encore jeunes.

​Louvain n’enchaîne plus les succès, mais il garde son public. Parce qu’il demeure ce qu’il est. Il ne devient pas hippie pour continuer à pogner. Il chante ses hits d’antan, qui deviennent des chansons souvenirs. Mieux vaut être un souvenir qu’un oublié.

Puis arrive, en 1976, un moment de grâce imprévu et imprévisible. Pendant que tout le monde se pâme sur Elton John, David Bowie et Harmonium, une chanson sortie de nulle part devient incontournable : La dame en bleu.

Un bon vieux tango, en pleine montée du disco. Pourquoi ? Comment ? Les mystères du tempo. Il y a, dans cet air-là, quelque chose d’envoûtant. La production classique, le thème du coup de foudre et l’interprétation convaincante. Même un tripeux de Led Zep ne peut se la sortir de la tête. À l’aide !

C’est le dernier gros hit radio du Beau Brummell de Thetford Mines. Pas grave. Il est devenu, avant tout, une personnalité télé. Qui poursuit ses tournées à guichets fermés. Puis les années passent, on le voit moins sur nos écrans. Mais chaque fois qu’il réapparaît, il n’a pas changé. Toujours aussi heureux. Émerveillé. Jamais amer devant la gloire passée. Au contraire. Reconnaissant de tout ce qu’il a reçu. Prêt à encore donner. Et toujours aussi coquet. Le cheveu fourni bien placé. Bien sapé. C’est rassurant. On se souhaite de vieillir comme lui. De vieillir en beauté.

PHOTO ANDRÉ TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Louvain en spectacle au Centre Bell, en 2008

On a beau ne jamais avoir été un fan. On a beau ne jamais avoir ajouté une de ses chansons à nos listes. On a beau même s’être moqué de son trémolo très mollo, on ne pouvait, ces dernières années, qu’éprouver un profond respect devant un artiste qui a su durer, devant un artiste avec autant de sincérité. Aussi dévoué à son métier. Devant ce sourire si vrai. Jusqu’au dernier gros plan.

La mort de Michel Louvain, mercredi dernier, nous a profondément touchés. Rien n’est plus triste que le départ d’un homme heureux. Il aimait tant la vie, pourquoi la vie a-t-elle cassé avec lui ?

Reste à partager entre nous son héritage. Il y en a pour tout un chacun. Ce souci constant d’être toujours à son meilleur pour que les autres le soient aussi. La gentillesse, l’attention, le sens de l’amitié. Tout ce que ses proches ont si bien raconté, durant les derniers jours.

Il lègue aussi un bien précieux à tous ceux qui font du show-business. Son influence ne vient pas de son répertoire, de son style ou de sa voix ; elle vient de son être.

Son génie, c’est l’amour du public. Pas l’amour que le public a pour lui. L’amour que lui a pour le public.

Jamais un artiste n’a entretenu une relation aussi réciproque avec ses fans. Souvent ceux qui ont le micro oublient d’être à l’écoute de ceux qui ne l’ont pas. Pas lui. Combien de vedettes de la chanson décident de ne plus chanter leur tube le plus apprécié, pour mettre de l’avant leur nouveau matériel ? Ce titre ne fait plus partie de leur démarche. OK, c’est important, la démarche, mais le bonheur des gens assis devant toi, c’est important aussi. C’est bien beau, militer pour plein de causes, mais la première responsabilité d’un artiste, c’est celle envers son public. Personne n’en a été plus conscient que le beau Michel. Pendant plus de 40 ans, La dame en bleu faisait partie de son tour de chant. Comment pouvait-il en être autrement ? Que peut-on apporter de plus à quelqu’un, à part notre volonté de lui faire du bien ?

C’est ça, Louvain.

Les Québécois perdent plus qu’un artiste qu’ils aimaient, ils perdent un artiste qui les aimait. Autant, je dirais même encore plus. C’est rare. Voilà pourquoi, sa perte fait si mal. Heureusement, son souvenir fait du bien.