Conseil d’ami : ne pariez pas que le mode de scrutin sera changé bientôt. Certainement pas d’ici les prochaines élections, en 2022, comme l’avait promis le gouvernement Legault.

Ça n’arrivera pas. Le temps va manquer, et les caquistes ne peuvent pas faire semblant d’être tristes. Ils sont responsables du retard, et cela les arrange.

En colère, les partisans de la réforme manifestent ce mercredi à Québec. Ils veulent savoir si tout sera fait pour l’adopter à temps.

Mais en examinant le calendrier, la réponse paraît évidente : la mission est devenue impossible.

Le changement du mode de scrutin se fait en deux étapes.

D’abord, les élus doivent adopter un projet de loi qui définit le nouveau mode de scrutin proportionnel mixte.

Ensuite, les citoyens doivent entériner ce choix par référendum. Il se tiendrait à l’automne 2022, en même temps que les élections générales.

La campagne référendaire est longue à préparer. Selon Élections Québec, il faut une année. Cela signifie que le projet de loi devrait être adopté avant la relâche estivale, le vendredi 11 juin.

Or, son étude n’a pas encore commencé. Cela laisse peu de temps. À peine huit semaines. Et durant cette courte période, les députés seront occupés avec les crédits budgétaires et l’étude d’autres projets de loi, comme ceux sur la protection des renseignements personnels et sur le régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels.

Le projet de réforme du mode de scrutin compte près de 400 articles. Cela prendrait au moins cinq semaines.

Tout cela était pourtant prévisible.

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François Legault avait promis qu’il ne ferait pas un « Justin [Trudeau] de lui-même » en reniant sa promesse.

En mai 2018, caquistes, péquistes et solidaires s’étaient entendus pour adopter un scrutin proportionnel mixte compensatoire (voir encadré).

Les caquistes ont ensuite pris le pouvoir. Dans leur caucus, la majorité des députés venaient d’être élus pour la première fois. Ils n’étaient pas là quand le pacte a été signé. Ils étaient à peine au courant — le sujet avait été peu débattu durant la campagne.

Comme tant d’autres avant eux, ils aiment le mode de scrutin actuel, qui a le grand mérite d’avoir facilité leur élection…

Pour apaiser ses troupes, M. Legault a ajusté sa promesse en 2019. Il s’est engagé à organiser un référendum pour que les Québécois tranchent.

L’idée se défend très bien. Un gouvernement ne peut changer le mode de scrutin par majorité simple. Sinon, il risquerait de modifier les règles à son avantage. Il faut donc un vaste consensus, ce qui inclut idéalement l’opposition officielle. Or, les libéraux sont en défaveur. Passer par un référendum contournait cet obstacle.

Mais la CAQ semble avoir même perdu le goût de consulter les Québécois. Une lutte se dessine à l’interne.

Sonia LeBel, ministre responsable du dossier, veut réaliser l’engagement de son parti. Simon Jolin-Barrette joue au chef du camp informel du Non. En tant que leader parlementaire, il décide du calendrier de l’étude des projets de loi. Et il fait poireauter tout le monde.

Près de 20 mois après le dépôt du projet de loi, rien ne se passe. La pandémie n’a pas aidé, mais cela reste une excuse commode. Le travail aurait pu commencer dès février 2020.

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Le gouvernement caquiste prétend encore vouloir réaliser sa promesse. Il y a un mois, il a appuyé une motion l’enjoignant à étudier la réforme dans n’importe quelle commission parlementaire disponible. Mais en coulisses, il manœuvre pour que l’opposition torpille la réforme à sa place.

Dans des réunions récentes, les caquistes ont demandé aux péquistes et aux solidaires s’ils refuseraient de faire un compromis sur certains aspects de la réforme. Tout ça pour leur faire porter le blâme d’un blocage.

Cela n’arrivera pas.

Québec solidaire va se montrer « négociable ». À ses yeux, une réforme imparfaite est mieux que le statu quo.

Le Parti québécois est plus divisé. Les députés ont perdu de l’entrain pour cette réforme moins populaire en région, et leur principal partisan de la réforme, Harold LeBel, a été expulsé du caucus à cause d’une accusation d’agression sexuelle. Mais comme les solidaires, les péquistes ne tomberont pas dans le piège de la CAQ.

Les troupes de François Legault n’ont plus le choix : elles devront bientôt admettre que leur promesse devient irréalisable. À leurs yeux, mieux vaut le dire maintenant, alors que tous les regards sont tournés vers la troisième vague. Elles se défendront en disant avoir donné la priorité à la lutte contre la COVID-19, qui nécessitait toute leur attention.

Certes, ce n’est pas la mort définitive de la réforme du mode de scrutin. Si le projet de loi est adopté après le 11 juin, rien n’empêcherait de reporter le référendum à 2023 ou aux élections prévues en 2026.

Mais ce n’est pas ce qui avait été promis, et cela commence à faire loin.

Beaucoup de choses pourraient arriver d’ici là…

Les experts débattent du sujet depuis l’époque de René Lévesque. Il est temps que le débat descende dans la population. Après 40 ans d’attente, il n’est pas trop tôt pour savoir ce que les Québécois en pensent.

Le mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire

Selon la formule proposée, les Québécois voteraient deux fois.

Le premier vote serait pour un député de circonscription, élu sous la formule actuelle.

Le second vote serait pour des députés de liste, élus par un scrutin proportionnel dans chacune des 17 régions administratives du Québec.

Le nombre de députés resterait à 125. Par contre, le nombre de circonscriptions chuterait à 80.

Il y aurait 80 élus selon le mode de scrutin actuel, qui représenteraient des circonscriptions agrandies.

Et il y en aurait 45 autres qui viendraient des listes et représenteraient l’une des régions.

Les caquistes ont toutefois dilué l’élément de proportionnalité à leur avantage.

Pour faire élire un député par le système de listes, un parti doit récolter au moins 10 % d’appuis. Sinon, il est exclu de la proportionnelle. Ce seuil sert à éliminer les partis extrémistes et marginaux. Mais la barre des 10 % est très haute. Elle aurait empêché les solidaires et les adéquistes de se qualifier à leurs débuts.

À ma connaissance, un seul pays impose un seuil si élevé : la Turquie, qui n’est pas une démocratie modèle.

Le nombre élevé de régions affaiblit aussi la proportionnelle. Plus il y a de régions, moins il y a de députés élus selon la liste. Prenons un exemple extrême pour l’illustrer. Imaginons que le Québec était divisé en 125 régions. Il y aurait donc de la place pour un seul député par région. Qu’il soit choisi par une proportionnelle ou par la méthode actuelle n’y changerait rien : il n’y en aurait qu’un de toute façon !

Le camp du Oui serait sans doute mené par le Mouvement démocratie nouvelle, auquel participent entre autres Jean-Pierre Charbonneau et Françoise David.

Pour le camp du Non, c’est moins clair. On connaît toutefois l’argumentaire. Dans son essai Le pouvoir québécois menacé, le politologue Christian Dufour soutient que la proportionnelle ferait élire des gouvernements minoritaires, ce qui affaiblirait l’Assemblée nationale face à Ottawa et empêcherait d’adopter des lois costaudes comme la Charte de la langue française.

Cet argument a influencé de nombreux caquistes, qui préfèrent maintenant le statu quo.