(Québec) « Dégoûté », « répugné », « inacceptable ». Le gouvernement Legault lève le ton face aux entreprises établies au Québec qui détiennent sur leurs serveurs informatiques des images pédopornographiques. Il promet de les mettre « face à leurs responsabilités ».

La Presse a révélé mardi dans le cadre d’une série d’enquêtes sur les cas d’enfants exploités sexuellement sur l’internet, qui atteignent un sommet avec le confinement, que des dizaines de milliers d’images de pornographie juvénile étaient détectées annuellement sur des serveurs informatiques d’entreprises d’hébergement établies au Québec.

Secoué, le premier ministre François Legault a affirmé à Québec que cette situation est « inacceptable ». « Il faut que ces entreprises soient mises face à leurs responsabilités », a-t-il dit.

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, s’est dite à son tour « dégoûtée » par les révélations de La Presse. Conformément à une recommandation du rapport d’une commission transpartisane sur l’exploitation sexuelle des mineurs, Québec a mis en place un comité d’experts qui se penchera sur la présence de pornographie juvénile sur les sites des entreprises enregistrées dans la province.

« Forme de criminalité délocalisée »

Ce comité a comme mandat d’éclairer le gouvernement sur les façons de « contrer ce problème-là », car la cybercriminalité est une « forme de criminalité délocalisée », a-t-elle souligné. « Tu peux avoir un serveur à un endroit. Des images diffusées ailleurs », a-t-elle illustré. En réaction à notre enquête, la ministre a assuré mardi matin que les propriétaires de serveurs sont également dans la ligne de mire du comité.

La ministre de la Sécurité publique a également précisé que ce comité regroupe « les bonnes personnes pour […] arriver avec le portrait de la situation et, surtout, des façons de contrer ce problème-là », soit des représentants de trois ministères – Sécurité publique, Justice et Économie –, du Directeur des poursuites criminelles et pénales, de la Sûreté du Québec ainsi que le professeur en criminologie Francis Fortin, de l’Université de Montréal, ancien analyste en cybercriminalité à la Sûreté du Québec.

Les autorités fédérales ont aussi un rôle à jouer dans la lutte contre ce « fléau », a précisé la vice-première ministre. Elle a récemment eu des discussions avec le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, « sur ses intentions d’avoir un projet de loi qui pourrait venir encadrer les sites web des entreprises ».

Pour une politique de « tolérance zéro »

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a affirmé mardi qu’« il faut qu’il y ait une responsabilité civile, voire criminelle, lorsque ces entreprises ne font pas le ménage et ne font pas de surveillance, parce que ultimement [ce sont elles] qui envoient ces produits-là dans l’espace public ».

« L’excuse qu’on ne sait pas ce qu’il y a sur nos serveurs, bien, c’est non seulement inacceptable, mais c’est comme ça qu’on se retrouve avec un problème qui perdure au niveau de la pornographie juvénile. […] Les entreprises qui ne se conforment pas à une responsabilité que ce soit tolérance zéro sur leurs serveurs, bien [elles] devront avoir des sanctions tellement sévères qu’elles comprennent qu’il n’y a pas de survie si elles ne se conforment pas à ces principes de base là », a-t-il ajouté.

La cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, a pour sa part pressé Québec de faire preuve d’un « nécessaire besoin de proactivité ».

« On ne peut pas cautionner ça, d’aucune manière. Je pense qu’il faut être beaucoup plus proactif que d’attendre simplement qu’il y ait des plaintes qui soient formulées », a-t-elle dit.

« Il y a une chose qui m’apparaît évidente : comment se fait-il qu’on puisse humainement accepter qu’il y ait des entreprises qui savent et qui se déresponsabilisent de ça ? Ce sont des enfants. Ce sont des juvéniles. Alors, pour moi, il faut qu’on se donne tous les moyens », a renchéri la co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé.

« Réduire la peur, la honte et le stress »

Pour sa part, la Fondation Marie-Vincent soutient que « les fournisseurs d’hébergement de sites web ont un rôle à jouer » pour protéger les jeunes. « Ils devraient se responsabiliser agir promptement lorsqu’ils reçoivent des avis du Centre canadien de protection de l’enfance afin d’empêcher la diffusion des images », affirme Myriam Le Blanc Élie, sexologue à l’organisme montréalais qui offre des services thérapeutiques aux jeunes victimes de violences sexuelles.

« Nous sommes préoccupées par l’impact pour les victimes de pornographie juvénile de la circulation d’images sur le web. Il est très difficile pour les victimes de surmonter cette épreuve en sachant que les images de leur victimisation sexuelle existent en ligne et qu’elles continuent d’être repartagées », explique la sexologue.

Ces victimes craignent constamment que des membres de leur famille, des amis, collègues ou employeurs tombent sur les images, souligne Mme Le Blanc Élie. Elles sont aussi souvent habitées par la peur d’être reconnues dans la rue par des inconnus. « L’existence de ces images en ligne est un rappel constant de ce qu’elles ont vécu », décrit-elle, d’où l’importance « d’éliminer l’accessibilité à des images de pornographie juvénile afin de réduire la peur, la honte et le stress chez les victimes et de leur permettre de retrouver une vie plus heureuse ».