Près de 41 000 demandes d’aide ont été faites à SOS violence conjugale au cours de la dernière année, a appris La Presse. Du jamais vu pour l’organisme, qui roule à plein régime.

Au centre d’appels de SOS violence conjugale, le téléphone sonne sans arrêt. Jusqu’à 300 fois par jour. « Ça n’arrête pas ! Depuis un an, c’est la folie », s’exclame la porte-parole, Claudine Thibaudeau.

De mars 2020 à mars 2021, l’organisme a reçu 40 925 demandes sur ses différentes plateformes. C’est 7000 de plus que l’année précédente, et ce, quasi en un mois. « Avant mars, on s’alignait vers 36 000, 37 000 appels », se souvient Mme Thibaudeau.

Ce mois-là, le Québec est ébranlé par une série sanglante de féminicides. Huit femmes sont assassinées en huit semaines. À SOS violence conjugale, chaque meurtre provoque une avalanche d’appels, de textos et de courriels. La dernière semaine de mars, 1600 femmes se sont tournées vers la ressource en quête de réponses, de soutien ou simplement d’une oreille. Un record pour l’organisme actif depuis 1987.

D’une certaine façon, Claudine Thibaudeau voit cette augmentation d’un bon œil. La sensibilisation fonctionne ; les femmes ont moins peur d’aller chercher de l’aide. « Il y a quelques années, personne ne nous connaissait. On a travaillé fort pour se faire connaître, pour créer des liens de confiance avec les victimes », explique-t-elle.

Aujourd’hui, leurs efforts portent leurs fruits. Et probablement au moment le plus crucial de l’histoire de l’organisme.

« Je mourais de faim »

Pendant quatre ans, Sandra a vécu sous l’emprise de son conjoint. Ça a commencé tranquillement. Une remarque par-ci, un commentaire par-là. « Un jour, il n’a plus voulu que je voie mes amis, il ne m’a plus laissée sortir de la maison », raconte-t-elle.

Puis, il a rationné ses repas. Comme elle ne payait pas le loyer et la nourriture, ses portions étaient réduites au minimum. Sandra s’est adaptée. Elle mangeait en cachette lorsqu’il sortait voir ses amis. Elle tenait le coup, jusqu’à la pandémie.

« Il ne sortait plus, avec le confinement. Il était tout le temps à la maison. Je mourais de faim. Il me disait qu’il allait me tuer si je sortais. C’était très, très difficile », souffle Sandra au bout du fil.

C’est exactement ce que craignaient Claudine Thibaudeau et son équipe, au début de la pandémie.

Le confinement a donné lieu à des escalades de violence, il a renforcé le contrôle de l’agresseur.

Claudine Thibaudeau, porte-parole de SOS violence conjugale

En novembre, SOS violence conjugale a lancé sa plateforme numérique, qui a déjà récolté plus de 139 000 clics. L’organisme a aussi mis au point un test interactif, qui permet de reconnaître 12 formes de violence conjugale. Plus de 27 000 personnes ont fait le test.

« On voulait tout faire pour aider les victimes. Beaucoup d’entre elles ne savent pas qu’elles vivent de la violence. Elles sont dans le brouillard. Le test leur permet de mettre des mots sur leur situation. Les mots, c’est du pouvoir », explique Mme Thibaudeau.

Un matin de décembre, Sandra a fui son agresseur, avec son garçon, n’emportant qu’une petite valise. Elle a été hébergée dans une maison pour femmes, le temps de se trouver un appartement. « C’est la peur qui nous dicte quoi faire. Une fois qu’on franchit le premier pas, on reprend le contrôle », dit-elle.

Moins de places en maison d’hébergement

Selon la directrice de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF), Manon Monastesse, seulement 20 % des victimes de violence conjugale dénoncent leur agresseur. Le bilan à la hausse de SOS violence conjugale est donc un signe encourageant. « Ça prouve que les femmes sortent de l’ombre », se réjouit-elle.

Mais cela a un prix. En 2019, les 36 maisons de la FMHF avaient un taux d’occupation de 97 %. Mme Monastesse se dit déçue par les sommes allouées aux maisons d’hébergement dans le plus récent budget provincial.

Qu’est-ce qu’on fait si on a de plus en plus de demandes ? Ça prouve à quel point nous avons besoin de financement pour ouvrir plus de maisons.

Manon Monastesse, directrice de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes

C’est aussi une réalité à laquelle les intervenantes de SOS violence conjugale font face. « C’est crève-cœur de dire à quelqu’un qu’il n’y a plus de place. Des fois, on va leur proposer d’aller dans une autre région, mais ce n’est pas tout le monde de Montréal qui accepterait d’aller à Trois-Rivières », explique la porte-parole Claudine Thibaudeau.

Selon elle, les prochains mois risquent d’être décisifs. « Maintenant, c’est le déconfinement et la perte de contrôle du partenaire violent sur sa victime qui nous préoccupent énormément. »