Il était difficile de lire, hier dans La Presse, les témoignages de locataires harcelés et rénovincés par de riches propriétaires immobiliers de Montréal. C’est un cas classique de David contre Goliath.

D’un côté, des locataires aux moyens modestes qui s’accrochent à leurs logements.

De l’autre, des entrepreneurs immobiliers qui ont consacré 125 millions à l’achat d’immeubles ces dernières années.

Et pour pousser des locataires récalcitrants à déménager d’immeubles dont ils veulent doper la valeur en les transformant pour des locataires plus payants, Brandon Shiller et Jeremy Kornbluth n’hésitent pas à leur faire des coups bas.

Je cite l’article de Philippe Teisceira-Lessard : « En février dernier, les 19 locataires qui n’avaient pas voulu quitter le 3440, avenue Ridgewood, à Montréal, ont dû être évacués au milieu de la nuit par les pompiers de Montréal après que les parois coupe-feu eurent été enlevées. Leur retrait posait un risque d’embrasement rapide en cas d’incendie… »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

En février dernier, 19 locataires du 3440, avenue Ridgewood, ont dû être évacués au milieu de la nuit.

Le duo Shiller-Kornbluth a été visé par d’autres plaintes de locataires qui, eux aussi, s’accrochaient à leurs appartements dans un immeuble visé par ce qui ressemble à des rénovictions (on rénove pour mieux évincer les locataires).

Le Tribunal administratif du logement (TAL) a dénoncé « le harcèlement par négligence et par inaction » des entrepreneurs.

Négligence et inaction ? Verrou enlevé sur la porte principale, fenêtres rendues impossibles à fermer, coupures de services, non-chauffage de logements vacants (ce qui affecte la plomberie de tous) et invasion de punaises non traitée…

Pour ces saloperies, pour avoir sciemment transformé la vie des locataires récalcitrants en enfer, quelle fut la conséquence imposée par le TAL au duo Shiller-Kornbluth ?

Deux mille dollars en dommages punitifs.

Je répète : 2000 $.

J’ajoute : des baisses de loyers pour les locataires lésés.

C’est une sinistre blague, quoi. Pour des hommes d’affaires capables de consacrer 125 millions à l’achat d’immeubles ces dernières années, une tape sur les doigts de 2000 $ pour avoir harcelé par négligence et inaction — pour les pousser à partir — des locataires, c’est comme si un juge m’imposait une amende de 2 $ pour conduite dangereuse…

C’est une invitation à récidiver.

Partout au Québec, les difficultés d’accès à des logements abordables se multiplient, de Joliette à Percé en passant par Saint-Hyacinthe. Je sais bien que les causes sont multiples.

Mais si le prix à payer pour harceler, expulser et « rénovincer » des locataires jugés trop peu payants est de 2000 $, c’est un cas patent d’injustice cautionnée par le système, qui devrait être corrigée par le système.

Traditionnellement, soyons francs, ce sont des histoires de pauvres, ces histoires de locataires expulsés pour faire place à des rénovations qui, fatalement, attireront des locataires plus payants, capables de payer la totale. C’est sans doute pourquoi ces histoires ne faisaient pas long feu dans l’imaginaire collectif : les pauvres, on s’en fout.

Il se trouve que les pauvres étaient les canaris dans la mine de charbon du marché de la location. Là, on commence à entendre parler de familles de classe moyenne qui ne savent plus comment elles vont se loger, l’été prochain. Elles aussi ont été rénovincées. Ou alors elles aussi se font dire que la maman du propriétaire a besoin du logement, qu’il faudra partir en juillet…

Que vient faire la maman du propriétaire là-dedans ?

C’est qu’un propriétaire peut expulser des locataires s’il veut faire de la place à un membre de sa famille. Et comme prévu, la maman du proprio se pointe avec ses boîtes, croise la famille expulsée dans les marches du haut de duplex, le 1er juillet. Elle emménage.

La question à 1500 $ par mois : sera-t-elle encore là dans 18 mois ?

Qui sait…

Et qui vérifie ?

Je comprends tout le monde là-dedans, paradoxalement. Je comprends les locataires qui veulent rester dans leur quartier, qui ne veulent pas déménager loin de leurs repères au double du prix mensuel. Je comprends ceux qui achètent des immeubles et qui veulent faire un profit…

Mais si le profit reluqué par les investisseurs — grands et petits — est dopé par l’impunité qui préside à l’expulsion de locataires sous toutes sortes de prétextes, là, c’est à l’État d’y voir, de faire sa job, de protéger un certain bien commun.

Et pour l’instant, l’État, il est aux abonnés absents dans cet enjeu crucial. C’est pas le libre marché, mais pas loin, non plus. Quand des millionnaires comme le duo Shiller-Kornbluth peuvent transformer la vie de locataires en enfer quotidien et s’en tirer avec 2000 $ en guise de tape sur les doigts, ça donne une idée de la valeur que l’État accorde à la dignité des locataires dans ces « investissements ».

C’est-à-dire : pas grand-chose.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LAPRESSE

« Les histoires de plages de vaccination inutilisées se multiplient, alors que 742 000 doses ne sont toujours pas injectées », rappelle Patrick Lagacé.

Les petites cases (de la vaccination)

Désolé, je n’avale pas les explications du gouvernement sur la vitesse de tortue de la vaccination. Les histoires de plages de vaccination inutilisées se multiplient, alors que 742 000 doses ne sont toujours pas injectées.

Ce système de santé qui a toujours été géré par des directives top-down, obsédé par les petites cases à respecter et si peu souple, si peu agile, c’est ce même système qui est chargé de vacciner les Québécois. Hasard total, j’en parlais il y a exactement un an dans une chronique intitulée Les petites cases au temps du coronavirus.

On ne peut pas demander à un système si peu agile, soudainement, de se revirer sur un dix cennes et de commencer à vacciner des groupes (les profs, mettons) parce que la règle, le protocole, la directive dit qu’on en est encore à vacciner les 60 ans et plus. Les petites cases, chers amis…

Je répète : 742 000 doses inutilisées.

Je veux bien croire que certaines doses sont « en transit » — entre le fédéral et le Québec, puis vers les régions éloignées —, mais à 742 000 doses non utilisées, l’expression « en transit » a le dos large.

Je cite le responsable de la vaccination made in Quebec, Daniel Paré, le 7 janvier dernier, quand Ottawa était la cible de toutes les critiques du gouvernement Legault, quand les doses n’arrivaient pas : « La journée qu’on aura reçu 1 million de vaccins, vous allez voir, […] il y en aura 900 000 de données… »

Un mois plus tard, le 5 février, le ministre de la Santé, Christian Dubé, envoyait une taloche à Ottawa, encore, comparant l’infrastructure du Québec à une puissante voiture neuve qui n’attend que du carburant — les vaccins — pour fonctionner à plein régime…

Deux mois plus tard, la voiture a du carburant en masse, mais le Québec découvre que la voiture, c’est une Lada.

Êtes-vous surpris ?

Personne n’a le droit d’être surpris. C’est le même système de santé québécois que d’habitude : top-down, pas agile, obsédé par les petites cases dans lesquelles la vie doit s’insérer pour répondre aux exigences de la machine… Et pas l’inverse.

Les Lada ne gagnent pas de courses de F1 : OMG, quelle surprise.