Des membres de la communauté LGBTQ de Montréal réclament une « intervention d’urgence » d’Ottawa pour freiner l’expulsion prévue lundi d’un migrant bisexuel qui sera en « danger de mort » s’il est renvoyé dans son pays d’origine, la Jordanie.

« Il n’y aura pas de vie pour moi si je dois retourner là-bas. Je vais mourir », a témoigné Samer, 33 ans, lors d’une conférence de presse samedi. Son nom ne peut être fourni aux médias pour des raisons de sécurité.

À ses côtés, l’administratrice du groupe Action LGBTQ avec les immigrants et réfugiés (AGIR), Meryem Benslimane, a expliqué qu’un fossé sépare les lois et la réalité en Jordanie, en ce qui concerne le traitement réservé aux bisexuels. « Officiellement, la loi ne dit rien contre eux, mais la réalité est tout autre. Il peut y avoir des crimes d’honneur, et même des autorités et de la police », a-t-elle martelé.

Souvent, le gouvernement base sa décision sur la législation [du pays d'origine], mais nous savons que ce n’est pas la même situation dans la réalité. On demande aux autorités de stopper cette expulsion, de laisser Samer respirer et commencer une vie ici.

Meryem Benslimane, du collectif AGIR

L’avocat de Samer, MStewart Istvanffy, est persuadé qu’il s’agit « d’une affaire de vie ou de mort ». « Je crois que c’est vraiment un moment à la George Floyd, a-t-il dit. C’est comme si on mettait la jambe sur le cou de Samer, et il nous reste 60 heures. »

Appelé à réagir, le cabinet du ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, s’est fait prudent. « Nous ne sommes pas en mesure de commenter les cas individuels en raison des lois sur la protection de la vie privée. Nous veillerons toujours à ce que le Canada demeure un pays accueillant pour ceux qui fuient la guerre et la persécution », a indiqué la porte-parole du ministre, Mary-Liz Power.

Elle précise que l’Agence des services frontaliers (ASFC) « a l’obligation de renvoyer les personnes interdites de territoire dès que possible ». « Toute personne faisant l’objet d’une mesure de renvoi a bénéficié d’une procédure régulière, et les décisions sont prises au cas par cas, en fonction de tous les renseignements disponibles. » Cela dit, toute personne « peut demander à ce que son cas soit réexaminé avant l’expulsion », affirme Mme Power. « Cela inclut la possibilité de demander à la Cour fédérale de procéder à un examen des risques avant renvoi. Les expulsions se poursuivent lorsqu’une décision finale a été rendue sur cette demande. Lorsque les voies légales ont été épuisées, on s’attend à ce que les individus respectent nos lois. »

Une famille dangereuse

Dans des lettres, le père et le frère de Samer ont soutenu que ce dernier a « fait honte à la famille » et fait clairement part de leur intention de le tuer à son retour au pays, suggérant qu’ils le brûleraient vif. « À mon fils honteux, Samer, j’écris cette lettre, remplie de colère et de honte devant tes actions honteuses, et je veux dire ton homosexualité », lui a écrit son père en 2015 dans une lettre déposée en Cour et dont l’authenticité a été certifiée. « Je te punirai, car selon la loi islamique, il est permis de te tuer. »

« Ma famille a toutes les informations et sait exactement quand j’arriverai », a soutenu le migrant, en réitérant qu’il avait toutes les raisons de craindre pour sa vie.

Iyan Hayadi, aussi membre du collectif AGIR, appuie ses dires. « La Jordanie est un petit pays. Tout le monde connaît tout le monde. Et il n’y a pas de ressources officielles pour soutenir les personnes LGBTQ. C’est donc impossible pour les militants et les organisations de protection d’opérer sur le terrain », a-t-il précisé.

La mère de Samer est aussi catégorique. « Son père et moi sommes séparés depuis longtemps. Mon fils Samer a été menacé par ses frères, son père et ses cousins ​​plus d’une fois, verbalement, par téléphone ou sur les médias sociaux en raison de son orientation sexuelle et pour avoir renoncé à la religion islamique. Si mon fils retourne en Jordanie, il sera tué », a-t-elle écrit dans une lettre, aussi déposée devant la Cour.

« J’ai toujours cru que j’étais dans le pays le plus sécuritaire et le plus humain, et j’ai toujours été reconnaissante envers le Canada. Mais aujourd’hui, c’est impossible de croire ce qui nous arrive », a raconté la conjointe de Samer, une entrepreneure de 43 ans originaire du Liban, qui est citoyenne canadienne.

La demande de protection de Samer est appuyée par le député de Rosemont–La Petite-Patrie, Alexandre Boulerice. « Je demande aux libéraux de faire preuve d’humanité et de compassion. Cet homme ne représente pas un danger pour la société québécoise. Son expulsion est totalement évitable. Ça prend juste un appel téléphonique du ministre. Ça peut se faire très vite », a dit l’élu samedi.

Plus tôt samedi, Médecin sans frontières a également demandé l’arrêt des procédures et l’octroi à Samer d’un permis de séjour temporaire.

Détention « abusive »

Samer est d’abord arrivé au Canada au printemps 2019 par le chemin Roxham, après avoir été victime de « multiples crimes haineux et racistes par des nationalistes blancs aux États-Unis ». Sa demande d’asile sur le territoire a toutefois été refusée au motif d’une condamnation pénale aux États-Unis, dit son avocat.

Âgé de 18 ans, alors qu’il venait de s’installer aux États-Unis, Samer avait fait un accident de voiture, durant lequel son meilleur ami était mort. « Il avait alors été reconnu coupable d’homicide véhiculaire, à cause de la mort de son meilleur ami, et a été mis en prison par la suite », a précisé MIstvanffy. Lors de sa détention au Centre de détention de Rivière-des-Prairies, Samer affirme avoir été victime d’abus et d’agressions « verbales, physiques et sexuelles » à plusieurs reprises. Il dit aussi avoir subi « des dommages permanents » à ses chevilles dus au bracelet électronique qu'il portait. « On m’a agressé violemment, lancé au sol, frappé. Et on m’a menacé d’expulsion », a-t-il dénoncé samedi.

Avec Charles-Edouard Carrier et Catherine Girouard, collaboration spéciale