Le professeur de l’Université d’Ottawa Amir Attaran n’en est pas à sa première controverse. Notre chroniqueuse a fouillé dans les archives judiciaires pour savoir qui était ce personnage contesté, qui a qualifié le Québec d’« Alabama du Nord » dirigé par des « suprémacistes blancs ».

Le courriel du DRaymond Lalande était bref, courtois et peut-être, en rétrospective, un peu naïf. « J’imagine que ce qu’on rapporte sur Twitter n’est pas vraiment de vous, car ce serait honteux et profondément raciste à l’endroit des Québécois, a-t-il écrit, le 15 mars. Je n’imagine pas un professeur d’université ayant de tels propos. »

La réponse d’Amir Attaran a fusé : il se foutait de ce que pensait le DLalande, professeur à la retraite de la faculté de médecine de l’Université de Montréal.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Amir Attaran, professeur à la faculté de droit et à l'École d'épidémiologie et de santé publique de l'Université d'Ottawa

La correspondance a dégénéré de façon aussi rapide que spectaculaire. Dans son deuxième courriel, le prof Attaran a écrit au DLalande que les Québécois étaient racistes parce qu’ils négligeaient à mort des patients noirs et autochtones. « Vous devez être un bien mauvais médecin pour oublier cela comme vous le faites. En avez-vous tué vous-même ? »

Dans son troisième courriel, le prof Attaran traitait le médecin d’enfoiré et le sommait de faire de l’air : « Now, get lost. »

Piqué au vif, le DLalande a répondu qu’il cherchait « à comprendre la haine et la frustration » derrière ses propos : « Tu as besoin d’aide, Amir. Il faut que tu consultes. »

Le quatrième courriel du prof Attaran était aussi le plus court : « Quelle partie de “get lost était difficile à comprendre pour toi, connard ? »

Après un cinquième courriel d’insultes, le prof Attaran a déposé une plainte formelle contre le DLalande auprès de l’Université de Montréal… pour harcèlement.

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Stan Matwin a enseigné l’informatique pendant plus de 30 ans à l’Université d’Ottawa. Il est désormais titulaire d’une chaire de recherche du Canada à l’Université Dalhousie, à Halifax. En mars 2020, il a écrit à Amir Attaran pour lui faire savoir qu’il n’était pas d’accord avec sa critique, publiée dans le Globe and Mail, de la gestion canadienne de la pandémie.

Cette fois, Amir Attaran n’a eu besoin que d’un courriel pour envoyer son collègue se faire foutre : « With all due respect : go fuck yourself. »

Fin janvier, Stan Matwin est revenu à la charge auprès du prof Attaran : il avait remarqué qu’une page web de l’Université d’Ottawa le présentait toujours comme titulaire d’une chaire de recherche du Canada, alors que ce n’était plus le cas depuis 2015. Stan Matwin a menacé son collègue, qui est aussi avocat, de porter plainte au Barreau de l’Ontario pour déclaration mensongère.

Le prof Attaran a répliqué avec une plainte formelle contre Stan Matwin auprès de l’Université Dalhousie… pour harcèlement.

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« Je me suis plaint du DLalande et de M. Matwin après qu’ils m’eurent écrit des courriels de harcèlement. Pour être clair, ILS ont engagé la communication. Je n’avais jamais entendu parler d’eux avant de recevoir une note grossière de chacun », m’écrit Amir Attaran.

Le DLalande n’aurait pas dû lui suggérer qu’il avait besoin d’une aide psychiatrique, puisqu’il est contraire à l’éthique des médecins de poser un diagnostic à distance, ajoute-t-il.

À mon humble avis, les messages du DLalande et du prof Matwin n’avaient rien de « grossier », mais il en va des courriels comme des messages sur Twitter ; tout est question de perceptions.

Tout dépend de qui les reçoit.

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Vous voyez la tendance ? Dans les deux cas, la même mécanique est à l’œuvre. Tu m’écris, je t’insulte, tu répliques, je t’accuse de harcèlement.

La victime, c’est moi.

Chez Amir Attaran, on peut dire que c’est une sorte de modus operandi. Il n’y a qu’à fouiller dans les archives judiciaires canadiennes pour s’en convaincre.

Le professeur de droit a poursuivi l’Université d’Ottawa pour discrimination raciale parce qu’elle ne l’avait pas recommandé pour l’obtention d’une chaire de recherche ; il a poursuivi l’Université York pour discrimination raciale parce qu’elle lui avait refusé deux postes prestigieux ; il a poursuivi le gouvernement fédéral pour discrimination basée sur l’âge parce que les délais requis pour accorder la résidence canadienne à ses parents américains étaient trop longs à son goût ; il a poursuivi le gouvernement ontarien pour discrimination basée sur le sexe parce que sa conjointe de 44 ans était trop âgée pour profiter d’un programme de fertilisation in vitro…

Vous la voyez, cette tendance ?

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J’ai fouillé dans les archives judiciaires parce que je voulais savoir qui était Amir Attaran.

Qui est donc cet homme qui a réussi à se mettre toute une province à dos ? Qui a incité l’Assemblée nationale à adopter une motion unanime pour condamner « les attaques haineuses dont fait l’objet la nation québécoise » ? Qui a plongé Jagmeet Singh dans l’embarras et l’Université d’Ottawa dans une (autre) crise existentielle ? Qui a même poussé Justin Trudeau à dire que ça va faire, le Québec bashing ?

On a dit et redit que les déclarations du prof Attaran sur le Québec-Alabama-du-Nord-dirigé-par-des-suprémacistes-blancs révélaient « le visage haineux du wokisme » et le mépris du Canada anglais envers le Québec.

Peut-être bien. Mais pas seulement.

Amir Attaran n’en a pas juste contre le Québec. De la discrimination raciale, il n’en voit pas seulement dans la Belle Province.

Dans sa poursuite contre l’Université York, en 2017, il alléguait que sa candidature n’avait pas été retenue pour deux postes en raison de son origine ethnique.

Dans le premier cas, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a établi qu’Amir Attaran avait tout simplement manifesté son intérêt trop tard ; après la fin des mises en candidature, après même que le poste eut été attribué. Sa plainte a été rejetée en 2018.

Dans le deuxième cas, le processus de sélection était déjà bien entamé lorsque le prof a soumis sa candidature. Le tribunal n’a pas encore rendu sa décision.

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L’Université d’Ottawa, pourtant considérée comme le repaire ultime des wokes, s’est elle-même retrouvée dans la ligne de mire d’Amir Attaran.

En 2015, elle a refusé de recommander sa candidature à la tête de la Chaire de recherche du Canada en droit, santé de la population et politique du développement mondial, dont il était titulaire depuis dix ans.

L’Université d’Ottawa soutenait que le prof avait rempli deux mandats de cinq ans à la tête d’une chaire, le maximum permis par l’établissement. Qu’à cela ne tienne : le prof Attaran a poursuivi son employeur pour discrimination raciale. Il réclamait 30 000 $ pour perte de revenus et 160 000 $ pour « perte de dignité et détresse ». En 2018, les deux parties ont réglé à l’amiable. L’entente est confidentielle.

Amir Attaran n’a toutefois pas renoncé à poursuivre son syndicat, sous prétexte que la convention collective, ratifiée par le syndicat et l’Université, était discriminatoire. Exiger le bilinguisme d’un candidat pour un poste au sein d’une chaire, par exemple, réduisait les chances d’embauche des femmes, des autochtones, des handicapés et des minorités visibles.

Le tribunal a rejeté sa plainte en 2019.

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Parfois, ça fonctionne. Une plainte d’Amir Attaran à la Commission canadienne des droits de la personne a ainsi poussé le gouvernement fédéral à réagir.

Le règlement, conclu mardi, fait en sorte que les universités qui n’atteindront pas leurs cibles en matière d’équité, de diversité et d’inclusion en subiront les conséquences. Le programme fédéral réduira le nombre de chaires de recherche du Canada attribuées à ces établissements.

« Ce règlement affectera 2000 professeurs et 70 universités au pays. Il fera du Canada un pays plus égalitaire pour toutes les races, sexes et capacités, m’écrit Amir Attaran. Je suis très fier d’un travail comme celui-ci. »

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Son nouveau cheval de bataille, on le sait, est le racisme systémique que l’État québécois s’entête à ne pas reconnaître. Il n’en démord pas. « Je ne suis pas le genre d’adversaire doux que les suprémacistes blancs aimeraient avoir. Peu importe l’intensité de la fureur en provenance du Québec, rien ne m’empêchera de dire que le racisme systémique existe là-bas. »

Peu importe les remontrances de son recteur, Jacques Frémont. Peu importe la pétition exigeant sa démission et celle du recteur. Peu importe la crise bien réelle qui secoue l’Université d’Ottawa.

À peine sorti de l’affaire Lieutenant-Duval, l’établissement est replongé, avec l’affaire Attaran, dans la tourmente. L’Université, on l’imagine sans peine, s’en serait bien passée.

Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Au contraire, c’est justement parce qu’Amir Attaran était abonné aux controverses que l’Université d’Ottawa s’est d’abord intéressée à lui.

Au début des années 2000, ce jeune chercheur américain, spécialisé en droit et en santé publique, n’hésitait pas à s’en prendre à l’Organisation mondiale de la santé, aux environnementalistes ou à Médecins sans frontières. Fort en gueule, il pouvait être cité par le New York Times trois fois par semaine… sur trois sujets différents.

Bref, il impressionnait.

En janvier 2004, Amir Attaran se trouvait en Suisse quand il a été sondé par un chasseur de têtes de l’Université d’Ottawa. Il a été embauché trois mois plus tard.

Dès février 2007, le Globe and Mail lui consacrait un portrait dont l’introduction disait tout : « Affirmer qu’Amir Attaran n’est pas étranger à la controverse est un euphémisme »…

Le prof venait alors de critiquer le gouvernement fédéral pour le traitement de prisonniers afghans par des soldats canadiens. Il avait été inondé d’insultes.

Et l’Université d’Ottawa était aux anges.

C’est ce qu’elle voulait. Un prof « capable de prendre part au débat public sur un éventail de sujets controversés », a expliqué le doyen de la faculté de droit de l’époque au magazine Affaires universitaires, en novembre 2007.

On peut dire qu’elle a été servie.

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En 2011, le commentateur politique de droite Ezra Levant a proféré une grossière insulte contre le directeur d’une multinationale espagnole sur les ondes du réseau Sun News. « Chinga tu madre ! », a-t-il lancé. Baise ta mère.

Amir Attaran a déposé une plainte contre Ezra Levant, alors avocat, au Barreau de l’Alberta. Il exigeait des sanctions contre cet avocat mal embouché qui minait selon lui « la dignité de la profession juridique », a-t-il dit au Globe and Mail.

Ezra Levant, de son côté, invoquait son droit à la liberté d’expression.

J’ai demandé au prof Attaran s’il croyait que ses insultes envers le DRaymond Lalande et le prof Stan Matwin, tout comme ses insultes publiques envers les Québécois, minaient la dignité de la profession juridique.

Après tout, le code de conduite du Barreau de l’Ontario stipule qu’un avocat doit faire preuve de « courtoisie » et de « civilité » envers toutes les personnes avec qui il entre en contact.

« Je ne suis pas d’accord pour dire que les gens de la profession juridique ont l’obligation de ne pas offenser, m’a-t-il répondu. Il existe une tradition honorable d’avocats dénonçant le racisme, y compris la version du racisme connue sous le nom de suprématie blanche. C’est ce que j’ai fait au sujet du Québec, et si cela offense les gens, qu’il en soit ainsi. »