Certains ne jurent que par le privé et son efficacité, d’autres estiment que le public et son désintérêt pécuniaire se traduisent nécessairement par de meilleurs services.

Comparer l’un et l’autre n’est pas simple. Rarement a-t-on des résultats concrets de services très semblables pour juger de leur performance (1).

Or, c’est ce que nous permet de faire la triste pandémie avec les CHSLD du Québec. Un an plus tard, on est à même de déterminer qui, du privé ou du public, a le mieux fait dans la tempête, durant tant la première que la deuxième vague (2).

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Il existe au Québec trois types d’établissements de soins de longue durée.

Pour comparer, il faut rappeler qu’il existe au Québec trois types de ces établissements de soins de longue durée qui accueillent les cas lourds, c’est-à-dire les personnes âgées qui ont souvent besoin de soins à toute heure du jour et de la nuit.

Le premier est entièrement public. Le deuxième est privé, mais doté d’un financement du gouvernement très similaire au public et régi par des conventions de services strictes. Enfin, le troisième est privé, mais non conventionné et avec des subventions par résidant qui sont 20 % moindres.

Les résultats de notre compilation sont fort éloquents. Dans le Grand Montréal (Laval-Montréal-Montérégie), où le nombre et la variété des établissements permettent la meilleure comparaison, le public et le privé conventionné obtiennent les mêmes résultats, selon notre compilation.

Plus précisément, la proportion des résidants qui ont attrapé la COVID-19 est pratiquement la même, soit 48,6 % au public et 45,5 % au privé. Les morts ? 17,4 % des résidants au public et 17,6 % au privé conventionné.

En revanche, dans les établissements privés non conventionnés, 61,2 % des résidants ont attrapé le coronavirus, et 21,6 % en sont morts, ce qui est nettement plus élevé (2).

Visiblement, ce n’est pas l’effet du hasard. Les établissements qui reçoivent moins d’argent doivent rogner sur les normes et les conditions de travail des employés pour faire des profits, et cette dynamique a fait augmenter le nombre de morts. Dit autrement, si le taux de décès du privé non conventionné avait été le même qu’ailleurs, il y aurait eu 82 morts de moins.

Bref, le financement moindre se traduit en malades et en morts. Mais pas le privé, comme on le voit dans la première comparaison.

L’autre aspect intéressant de notre travail de recherche, c’est qu’on peut comparer l’impact de la première et de la deuxième vague. Les établissements étaient pour la plupart mieux préparés à la deuxième vague, avec des équipements de protection, et le gouvernement avait majoré le salaire des préposés, qui ne pouvaient plus se promener aussi aisément d’un établissement à l’autre.

Résultat : le taux de décès dans les CHSLD a été divisé par trois, passant de 13 % des résidants lors de la première vague, conclue en juin, à 4,9 % lors de la deuxième vague (nos chiffres datent de la fin de février).

Encore une fois, le privé conventionné et le public obtiennent pratiquement les mêmes taux lors de la deuxième vague (4,5 % et 4,7 %), alors que le non conventionné demeure significativement plus élevé (7,6 %).

Au ministère de la Santé, on juge que notre analyse devrait prendre en considération la possible différence de lourdeur des cas (épidémiologie) entre les établissements (âge, comorbidités, etc.). Effectivement.

Idéalement, il faudrait avoir le profil précis de chaque résidant dans chaque CHSLD et faire ce que les économètres appellent une analyse de régression pour tirer des conclusions scientifiques limpides, qui tiendrait aussi compte de la vétusté ou non des établissements et du nombre de lits par chambre.

Si le public, par exemple, a des cas plus lourds, son taux de décès identique à celui du privé conventionné serait plus enviable. Cela dit, rien n’indique que ce soit le cas, et certainement pas au privé non conventionné.

Au début de la pandémie, l’impression générale, c’était que le privé était responsable de l’hécatombe, en bonne partie. Connaissant l’aversion de bien des Québécois pour le privé et les profits, cette impression aurait pu mener les politiciens à prendre des décisions hasardeuses.

Avec ces données – et à défaut de mieux –, on constate que le privé ne fait vraisemblablement ni mieux ni moins bien que le public dans des conditions semblables. Ce n’est pas le cas quand l’établissement reçoit moins d’argent, toutefois, ce qui n’est pas étonnant.

Pour redresser le financement des établissements privés non conventionnés et exiger un rehaussement de leurs normes, il en coûterait environ 60 millions, m’avait-on dit en juin dernier. Cette semaine, on a appris que Québec veut aller dans ce sens, mais que ce ne sera pas rapide et complet, compte tenu des contrats à long terme signés par le précédent gouvernement.

Ces données sur les résultats nous permettent de nous interroger sur une autre question, plutôt délicate, dans le contexte de l’enquête de Katia Gagnon et de Gabrielle Duchaine sur le Groupe Vigi Santé.

Si une organisation privée grassement financée par l’État fait nettement moins bien que les autres, ne devrait-on pas lui retirer le financement qui lui permet de faire des profits ? Et en ce qui concerne les établissements publics, ne devrait-on pas obliger les dirigeants à rendre davantage de comptes ? Pas facile…

Avec Thomas de Lorimier et Katia Gagnon, La Presse

1. De très nombreuses comparaisons ont été faites entre les écoles publiques et privées, notamment au Québec. Toutefois, comme la clientèle est fort différente – et surtout la motivation de leurs parents –, il est difficile de bien s’assurer de l’effet du privé sur les résultats.

2. Chapeau au travail colossal de collection et d’analyse de données de l’équipe d’enquête, auquel j’ai participé.

3. Notre univers porte sur 21 113 places en CHSLD, soit 92 % du total des lits de ces établissements dans la région.