Les Québécois seraient prêts à payer des millions en appui financier aux agriculteurs pour qu’ils réduisent leur usage des pesticides. Dans une moindre mesure, ils sont aussi disposés à débourser pour la conservation des milieux humides en zone agricole, mais pas pour d’autres mesures agroenvironnementales.

C’est ce que révèle une étude qui vient d’être publiée dans la revue scientifique Ecological Economics par une équipe de chercheurs québécois dirigée par le professeur Jérôme Dupras de l’Université du Québec en Outaouais.

« Dans un ordre de grandeur, les gens sont dix fois plus intéressés à soutenir la réduction de pesticides que pour l’option qui arrive au second rang, soit la conservation des milieux humides et hydriques. La tendance, elle est clairement marquée », a-t-il expliqué en entrevue.

Les chercheurs ont interrogé 1875 personnes vivant dans la zone agricole intensive du sud du Québec, qui s’étire de l’Outaouais au Bas-Saint-Laurent. La majorité de la population, soit 6,4 millions de Québécois, vit dans ce territoire.

Les participants ont été sondés sur leur volonté personnelle à payer pour cinq mesures agroenvironnementales : la réduction des pesticides, la conservation des milieux humides et hydriques, l’établissement de bandes riveraines, la conservation des sols et l’intégration de l’arbre en milieu agricole.

Ils se sont ensuite fait demander s’ils étaient prêts à verser 10 $, 25 $, 50 $ ou 100 $ en appui financier aux agriculteurs par l’entremise d’un prélèvement sur leur déclaration de revenus annuelle provinciale. Puis, s’ils étaient prêts à faire un engagement de un, trois ou cinq ans.

En règle générale, les répondants étaient disposés à rétribuer financièrement les producteurs pour les deux premières mesures pour une période d’un an. Jusqu’à 100 $ pour la première et en moyenne 10 $ pour la deuxième.

Plus de 200 millions

Modulé et projeté à l’échelle de la zone de l’étude, le soutien financier pourrait atteindre 176 millions pour aider les agriculteurs à réduire leur usage de pesticides et jusqu’à 32 millions pour des pratiques visant à conserver les milieux humides et hydriques.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Jérôme Dupras, professeur à l’Université du Québec en Outaouais

Le public est prêt. Il y a une demande et une acceptabilité sociale. Moi, je pense que le message-clé, c’est de dire aux organisations régionales que c’est comme dans le film sur le baseball Le champ des rêves : bâtissez et ils viendront ! Mettez en place une initiative, demandez aux gens de contribuer et ils vont le faire.

Jérôme Dupras, professeur à l’Université du Québec en Outaouais

M. Dupras est aussi titulaire de la chaire de recherche du Canada en économie écologique et bassiste pour le groupe Les Cowboys fringants.

Pour ce qui est de la gestion des sommes, les répondants ont aussi montré une préférence claire pour un organisme indépendant comme une ONG environnementale et, au deuxième rang, pour un pouvoir public régional comme une MRC ou une municipalité. Viennent ensuite les organisations régionales de l’Union des producteurs agricoles (UPA) et, en dernier lieu, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ).

« Ça devient une information très précieuse pour essayer de faire essaimer de nouvelles initiatives et ça vient compléter le portrait des programmes existants », dit M. Dupras.

Ce dernier fait notamment référence au programme de subvention provincial PRIME-VERT, qui rembourse une partie des dépenses visant à réduire ou atténuer les effets des pesticides sur les bandes riveraines. En Montérégie, un programme en partie philanthropique nommé ALUS offre aussi de l’aide financière aux agriculteurs qui adoptent des pratiques durables.

Le MAPAQ a également annoncé, l’automne dernier, que les agriculteurs qui adoptent les meilleures pratiques pourront désormais se faire rétribuer financièrement. Une première au Québec. Un projet-pilote aura lieu au cours de la saison agricole 2021. Les modalités sont toujours inconnues.

Le président de l’UPA, Marcel Groleau, émet quelques réserves entre ce que les gens se disent prêts à faire dans un tel exercice et leurs comportements réels.

« Ce que je trouve intéressant, c’est qu’il y a quand même une évolution. Si on avait posé la même question il y a 10 ans, il n’y aurait pas eu ces réponses-là », nuance-t-il toutefois.

L’enjeu des pesticides a fait couler beaucoup d’encre au Québec ces dernières années. Les chercheurs avancent d’ailleurs l’hypothèse que l’affaire Louis Robert et la commission parlementaire sur les pesticides ont pu influencer le choix des répondants.

En revanche, la population générale ayant des connaissances limitées sur l’agriculture, une mesure comme celle de la conservation des sols a pu paraître trop abstraite pour être choisie.