Le consommateur québécois est prévenu qu’il y a peut-être dans son biscuit l’ombre d’une trace de noix.

Mais on n’a pas cru bon de lui dire qu’il y a probablement des résidus d’huile de palme dans son lait.

Autrement dit, on est mieux renseigné sur ce qu’il y a dans un produit hypertransformé que dans un bon vieux produit du terroir.

Quoi de plus naturel que le lait ?

Plein de choses, apparemment…

Depuis une semaine, l’économiste de l’alimentation Sylvain Charlebois expose ce secret honteux de la production de lait : le dopage à l’huile de palme. Dans Le Journal de Montréal, il a expliqué que ses doutes ont surgi quand il a vu que le beurre était anormalement dur cette année.

Des experts lui ont répondu. D’abord, c’est une vieille nouvelle. Ensuite, la vache produit naturellement de l’acide palmitique. Une p’tite shot de plus, une p’tite shot de moins, y a rien là ! Et pour finir, c’est une minorité de producteurs qui y ont recours, ce serait donc étonnant que ça change le beurre à ce point-là. Tout est donc parfaitement normal !

Excusez, mais non. Le public ignore ça. Laissons faire la consistance du beurre. Ne parlons même pas des effets sur la santé, puisqu’on n’a aucune donnée de l’ampleur du phénomène.

Considérons simplement ceci : cette industrie, à laquelle on a accordé le privilège très coûteux des quotas de lait pour faire vivre le monde agricole (et tant mieux)… importe un produit douteux d’Indonésie pour nourrir les vaches. Un produit qui est en train de massacrer la forêt d’Indonésie – notamment.

Mais revenons juste à ce minuscule point. De l’huile de palme du bout du monde pour nourrir nos vaches ? C’est pas malade, un peu, comme concept ?

« Oui, mais y a de l’huile de palme partout ! »

OK. Il y avait aussi des gras trans partout. Et au moins, quand il y a des gras trans, c’est écrit sur l’étiquette.

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Heureusement, la plupart des producteurs, bios ou pas, ne font pas ça.

« À un moment donné, il y a une ligne éthique à tracer », me dit Jean Morin, de la Fromagerie du Presbytère, à Sainte-Élizabeth-de-Warwick, qui produit entre autres le Louis d’Or, et qui a un troupeau de 80 vaches. « On ne peut pas toujours donner juste du foin, malheureusement, ça ne donne pas un rendement adéquat toute l’année. Pour produire 15 kilos de gras dans une journée, ça prend des athlètes de haut niveau comme vaches. On fait pousser du soya, du maïs, et on obtient le taux de gras voulu. Mais il y a des vendeurs de poudre de perlimpinpin. Et leur recette n’est pas écrite sur le pot. Ils te disent : “J’ai ce qu’il te faut ! La moulée 32 pour les protéines, la 44 pour le gras…” Ils ont des petits cubes magiques… Pour moi, c’est une tricherie terrible. Je ne blâme pas les producteurs qui en achètent, ils se font embarquer. C’est bête à dire, on ne devrait pas, mais il va nous falloir des règlements. C’est des humains qu’on nourrit, c’est le plus beau métier possible, je me sens privilégié. Mais il faut une éthique à ça. Comment on peut nourrir les vaches avec des produits secrets ? »

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Le comique de l’affaire, pour ainsi dire, c’est qu’un des groupes montés aux barricades pour dénoncer la présence d’huile de palme n’est nul autre que le Conseil des industriels laitiers.

Avez-vous déjà lu les ingrédients des fromages industriels ? Savez-vous ce qu’est une « substance laitière modifiée » ? C’est souvent du lait en poudre. Et il est souvent importé de pays où il coûte une fraction du prix. Nos industriels fourguent ça dans le fromage selon les pourcentages permis par le règlement fédéral. Pour la mozzarella canadienne, il suffit de 63 % de protéines laitières. Et hop, on a du fromage du Québec ! On peut même lui faire un emballage qui fleure le terroir, c’est pas mêlant, on dirait du Fred Pellerin empaqueté. Même pas besoin de lait, ou si peu !

À côté de ça, les « vrais » fromagers d’ici utilisent uniquement du lait. Parfois, pour les plus rigoureux – pour ne pas dire les plus fous, tant c’est compliqué –, leur propre lait.

Les industriels ne font aucune mention des produits importés, ni de la proportion de vrai lait, ni de ce que sont exactement ces substances modifiées, dont on ne voudrait pas forcément voir la gueule.

Mais ils appellent ça du fromage.

Alors, ces gros industriels du poudrage laitier ne sont peut-être pas les mieux placés pour causer alimentation bovine…

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Que faire ? En attendant qu’on fasse le ménage dans le menu de la vache, il reste le lait bio, soumis à des normes strictes. Quelques rares laiteries locales. Ou alors, comme sont obligés de faire tristement bien des pâtissiers d’ici pour avoir du beurre de qualité… le beurre français, deux ou trois fois le prix. Ou d’autres beurres canadiens bios.

Pour les syndicats de producteurs de lait, qui ont plaidé si fort que le sort de la nation dépend des quotas, il serait peut-être temps de nous montrer que ce n’était pas seulement un combat corporatiste. De défendre la qualité, l’intégrité du produit qu’ils paient si cher pour commercialiser.

Quelques gouttes d’huile exotique peuvent augmenter le gras du lait. Mais aussi vous ruiner une campagne de pub souriante.