La Presse a publié une analyse qui portait le même titre, il y a plus d’un an, alors qu’un nouvel épisode d’évènements de décharge d’armes à feu débutait à Montréal.

À ce moment, d’anciens enquêteurs des escouades « Gangs de rue » cantonnées dans les quatre régions (Ouest, Nord, Est et Sud) du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) expliquaient la hausse des évènements de coups de feu par la dissolution de leurs sections en 2016.

En décembre 2019, au moment où cette première analyse a été écrite, le SPVM réagissait aux violences en créant le projet Quiétude, une équipe d’enquêteurs vouée uniquement aux saisies d’armes à feu illégales, active partout sur le territoire. En un peu plus d’un an, les enquêteurs de Quiétude ont mis la main sur plus de 130 armes à feu et arrêté plus d’une centaine d’individus. Mais force est de constater que leur imposant bilan ne parvient pas à freiner l’escalade.

Les évènements de décharge d’armes à feu se sont poursuivis l’an dernier et depuis le début de cette année. Des individus de plus en plus jeunes se retrouvent avec un instrument de mort entre les mains, et les évènements sont de plus en plus imprévisibles et de « haute intensité », a récemment témoigné un expert des armes à feu.

Les victimes sont elles aussi parfois très jeunes, comme cette adolescente de 15 ans, au mauvais endroit au mauvais moment, tuée dans Saint-Léonard le 7 février.

Sans compter qu’au cours des six derniers mois, des policiers ont été la cible de coups de feu à quatre reprises à Montréal, une situation rare, si elle s’est déjà vue.

Le pouls du terrain

En réaction, encore une fois, le SPVM a créé – en plus de Quiétude qui va poursuivre ses activités – l’Équipe de lutte contre le trafic d’armes (ELTA), qui sera installée dans le nord-est de Montréal, où une trentaine d’évènements de coups de feu sont survenus au cours des six derniers mois.

L’équipe comptera 12 enquêteurs et 8 policiers fileurs, en plus d’un lieutenant-détective et d’un ou deux analystes. Les enquêteurs, dont on nous dit qu’ils ont été triés sur le volet, traiteront surtout des informations de sources et traqueront la circulation des armes à feu, notamment sur les réseaux sociaux.

Ils seront appuyés par l’Équipe nationale de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA) de la Gendarmerie royale du Canada et échangeront avec leurs collègues des villes voisines ou d’autres grandes villes, comme Toronto, où une telle escouade, baptisée Gun and Gang, existe déjà depuis plusieurs années.

Mais est-ce que 12 enquêteurs est un nombre suffisant ? Les quatre défuntes escouades Gangs de rue du SPVM comptaient une dizaine d’enquêteurs chacune, donc une quarantaine au total.

Régulièrement, les enquêteurs passaient par le trafic des stupéfiants pour saisir des armes illégales. Ils travaillaient donc main dans la main avec leurs collègues des escouades Stupéfiants, qui comptaient 10 ou 12 agents enquêteurs. Sans compter des équipes de filature.

On retrouvait donc, dans chaque région, une force de frappe d’une trentaine d’enquêteurs qui connaissaient leur criminalité locale comme le fond de leur poche. Sans compter les patrouilleurs, qui connaissaient leur secteur et développaient des sources, très utiles pour les enquêteurs.

« Les enquêteurs connaissaient le secteur. Quand une source leur parlait d’un endroit, leur donnait un surnom, ils savaient où et de qui il s’agissait. Ce sera peut-être le problème avec l’ELTA », affirme un ancien enquêteur des sections Gangs de rue qui a requis l’anonymat, car il n’est pas autorisé à parler aux médias.

PHOTO LA PRESSE

Un pistolet saisi lors de l’arrestation d’un suspect par les membres du projet Quiétude en 2020

« Les sections Stupéfiants et Gangs de rue des régions, c’étaient des équipes bien huilées », renchérit un autre.

« La police ne fait que répondre aux urgences et a perdu le pouls du terrain », ajoute un policier retraité.

Il existe encore des sections Stupéfiants dans les quatre régions du SPVM, mais elles comptent environ huit enquêteurs, qui relèvent de la Division du crime organisé du SPVM, et qui sont déjà débordées.

Les violences de la dernière année et demie n’ont pas toutes les gangs de rue comme trame de fond, mais des enquêteurs croient qu’une telle section spécialisée doit revenir au SPVM.

« Dans le Nord-Est, il faudrait deux équipes de dix enquêteurs qui s’occuperaient exclusivement des gangs de rue et des tentatives de meurtre, qui seraient peut-être plus efficaces que l’ELTA, qui traitera des informations de sources », croit un troisième enquêteur, qui suggère de ramener une escouade Gangs de rue au moins dans les secteurs chauds, comme le nord-est de la métropole actuellement.

Gang, un mot à l’index

Mais pour recréer une escouade Gangs de rue, encore faut-il que le SPVM reconnaisse que ces gangs existent. Les mots « gangs de rue » ont été mis à l’index par le SPVM depuis quelques années, déplorent des enquêteurs.

Remarquez que le phénomène gagne également la Cour, où l’on décortique même le terme « langage de rue » utilisé par un expert de la police, qui devient « langage urbain », pour ne pas être préjudiciable pour les accusés.

À Toronto, le nom de l’escouade spécialisée Gun and Gang de la police décrit bien ce contre quoi elle lutte.

À Montréal, la ligne entre les gangs rouges (Bloods) et bleus (Crips) est plus diffuse qu’à une certaine époque. Pourtant, ces allégeances existent toujours et sont régulièrement représentées dans des vidéos rap sur les plateformes de diffusion comme YouTube.

Dans une mêlée de presse récente, le chef du SPVM, Sylvain Caron, a parlé d’une « criminalité émergente ».

Derrière certains des évènements violents des derniers mois, on entend de la bouche des policiers les noms des 43, Profit Kollectaz, Flameheads, STL et autres.

« Ce sont des gangs ou des cliques. Des jeunes qui ont fréquenté la même école et qui ont grandi dans le même quartier. Ils viennent du même code postal », explique un enquêteur.

Des cliques sur lesquelles les membres plus vieux des gangs de rue (vétérans) ne semblent plus avoir d’influence, ou ne veulent plus en avoir. Cela peut également expliquer la hausse des évènements de décharge d’armes à feu à Montréal.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.