(Ottawa) Les dirigeants de Pornhub se sont présentés devant un comité fédéral, vendredi, en mettant en doute le témoignage d’une jeune femme qui affirmait, quelques jours auparavant devant les parlementaires, avoir été victime de pornographie juvénile sur la plateforme.

Feras Antoon, le PDG de MindGeek qui possède Pornhub, dit qu’il n’a pas suffisamment de preuves démontrant que Serena Fleites, maintenant âgée de 19 ans, avait entrepris des démarches auprès de son organisation pour faire retirer une vidéo illégale la montrant alors qu’elle était mineure.

« Je ne dis pas qu’elle ne dit pas la vérité », a insisté M. Antoon lors de son passage devant le Comité permanent de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, vendredi. « Nous n’avons reçu que son prénom et son nom de famille », a ajouté son partenaire d’affaires David Tassillo.

Mme Fleites est l’une des victimes de pornographie juvénile qui a raconté son histoire dans une enquête du « New York Times » parue en décembre dernier. Elle a raconté aux membres du comité lundi comment elle est restée traumatisée par son expérience. Les députés ont été émus jusqu’aux larmes.

Vendredi, c’était le tour des dirigeants de Pornhub de témoigner devant les parlementaires. Les deux heures qu’a duré la réunion du comité ont donné lieu à des échanges musclés.

« Qu’avez-vous à dire aux jeunes femmes qui, comme Serena, ont été victimisées sur votre site ? » a lancé le député libéral Nathaniel Erskine-Smith aux dirigeants de Pornhub.

« Je suis un père, j’ai une fille, j’ai une épouse, j’ai une mère. J’ai le cœur brisé quand j’entends ces histoires. La souffrance qu’elles ont endurée est inimaginable », a répondu M. Antoon.

Pas question, cependant, de présenter d’excuses à la jeune femme qui dit avoir eu des démêlés avec le site. « En tant qu’individu, je me sens terriblement mal pour elle. Mais en tant que corporation, nous sommes incertains […] si le contenu existait », a offert M. Tassillo.

Les histoires comme celles de Mme Fleites ont pourtant déclenché des réactions immédiates dans le monde des affaires. Suivant l’enquête du « Times », Visa et MasterCard ont décidé de ne plus autoriser l’utilisation de leurs cartes sur Pornhub.

Le site pornographique a immédiatement réagi en suspendant tout le contenu mis en ligne par des utilisateurs non vérifiés, ce qui représentait environ 80 % des vidéos mises en ligne. Maintenant, seuls les utilisateurs vérifiés, dont l’identité a été confirmée, peuvent téléverser du contenu.

« Nous avons toujours tenté d’être d’avant-garde, d’être des leaders dans la façon dont les réseaux sociaux devraient fonctionner. C’était une étape de plus dans notre évolution », s’est félicité M. Tassillo.

M. Antoon a dit qu’il reconnaît que Pornhub aurait « pu en faire plus par le passé » et qu’il doit « en faire plus dans le futur » pour lutter contre la publication de contenu illicite sur ses plateformes.

« Je veux insister sur le fait que ce type de matériel n’a pas sa place sur nos plateformes et est contraire à nos valeurs et notre modèle d’affaires. L’abus de mineurs nous fait perdre de l’argent. Cela nuit à l’image de marque que nous tentons de bâtir depuis une décennie », a-t-il insisté.

Les témoignages des dirigeants de Pornhub n’ont pas semblé émouvoir les membres du comité.

« Je suis vraiment déçu des témoins aujourd’hui qui semblent banaliser, semblent vouloir défendre à tout prix leur entreprise. […] En tant que législateurs, on ne pourra pas garder les yeux fermés face aux dommages collatéraux », a déclaré le député conservateur Jacques Gourde.

« Comment vous vous couchez le soir et vous réfléchissez à tous ces parents et toutes ces victimes-là ? […] Comment vous vivez avec ça, le fait qu’il y a des vies qui sont impactées ? » leur a lancé la bloquiste Marie-Hélène Gaudreau.

Le comité de l’éthique doit bientôt présenter un rapport au sujet de la protection de la vie privée et la réputation sur les plateformes telles que Pornhub.

Les libéraux fédéraux, de leur côté, ont promis de déposer un projet de loi pour forcer les plateformes numériques à éliminer tout contenu illégal, incluant les discours haineux, l’exploitation sexuelle de mineurs et le contenu violent ou extrémiste au début de l’année 2021.