Les lois de la physique sont-elles différentes dans les écoles publiques ou bien privées ? Anglophones ou francophones ? Québécoises ou allemandes ?

C’est l’excellente question que soulevait la députée Marwah Rizqy il y a quelque temps, pressant le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, d’adopter un meilleur plan d'action en matière de ventilation dans les écoles afin de prévenir la transmission de la COVID-19 par aérosols.

Je me pose la même question.

J’ai deux enfants.

L’un à l’école publique. L’autre à l’école privée.

Celui qui est au public est dans une classe sans fenêtre et sans unités portables de filtration de l’air, dans une école où, malgré toute la bonne volonté du monde et le respect des règles sanitaires, on recense des dizaines de cas de COVID-19 depuis la rentrée.

Celui qui est au privé est dans une classe « avec fenêtre », dans une école où, bien que l’on ait recensé très peu de cas de COVID-19, on avait déjà, dès décembre, installé des unités portables de filtration de l’air HEPA – communément appelées purificateurs d’air –, conformément aux recommandations de l’Université Harvard.

Cherchez l’erreur.

* * *

L’erreur, je la cherche aussi quand je vois la situation kafkaïenne dans laquelle se trouve l’enseignante Marie-Josée Latour, dont ma collègue Caroline Touzin raconte l’histoire.

Voilà une enseignante d’une école publique de Montréal. Une femme dévouée et bien informée, qui ne veut que protéger ses élèves et leurs familles. Quitte à y travailler le soir, les fins de semaine et pendant ses vacances, s’il le faut…

Inquiets de la qualité de l’air dans leur école vétuste et sachant que la transmission de la COVID-19 par aérosols n’a rien d’imaginaire, des parents ont suggéré, en décembre, de se cotiser pour acheter deux purificateurs d’air à filtres HEPA (pour high efficiency particulate air filter) pour leur classe.

Un achat impulsif motivé par la peur ? Non. Le parent instigateur de l’initiative, lui-même ingénieur, s’est assuré d’étudier la chose sérieusement afin que tout soit fait dans les règles de l’art. Des parents ont aussi proposé d’emblée de cotiser davantage pour pallier le fait que certaines familles n’auraient pas les moyens de le faire.

On n’a pas acheté le premier appareil broche à foin trouvé en ligne ni celui qu’un obscur cousin flairant la bonne affaire aurait fabriqué dans son sous-sol.

On s’est fié aux avis d’experts crédibles en la matière, notamment ceux de l’École de santé publique Harvard T.H. Chan.

Consultez les recommandations de la Harvard T.H. Chan Public Health School (en anglais)

Mais voilà : même si la démarche est irréprochable, l’enseignante, qui a branché lesdits appareils au retour du congé des Fêtes, s’est fait ordonner de les retirer.

Pourquoi donc ? Ce serait la directive du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), qui, contrairement à la commission scolaire Lester-B.-Pearson, ne permet pas l’installation de tels appareils dans ses écoles.

J’écris « serait », car le CSSDM a esquivé la question de ma collègue à ce sujet, se contentant de lui répondre que l’on se rangeait derrière l’avis du groupe d’experts rendu public le 8 janvier.

Ce jour-là, en conférence de presse, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, s’appuyant sur une directive de la Santé publique, n’a pas interdit l’utilisation de ces appareils. Mais il a dit qu’il ne les recommandait pas, car ils pourraient être plus dangereux qu’utiles.

Le hic, c’est que les plus grands experts sur le sujet, à Harvard et ailleurs, sont d’un tout autre avis. Sans être une solution miracle, l’ajout d’unités portables de filtration de l’air HEPA pour limiter la transmission de la COVID-19 dans des endroits mal ventilés fait partie des recommandations d’un groupe d’experts canadiens et internationaux signataires d’une lettre ouverte le 4 janvier.

« Il est clair que les filtres HEPA fonctionnent très bien pour éliminer les aérosols des espaces intérieurs », m’a dit Jose-Luis Jimenez, signataire de la lettre et sommité internationale sur la transmission par aérosols, professeur de chimie à l’Université du Colorado, lorsque je lui ai demandé ce qu’il pensait de l’affirmation de notre ministre de l’Éducation sur le « danger » que posent ces appareils.

J’en reviens donc à cette enseignante, prise en flagrant délit de dévouement et de débrouillardise pour protéger ses élèves et leur famille en se fiant à des recommandations de Harvard et d’autres grands experts. Alors qu’elle mériterait des félicitations, elle s’expose à des sanctions. Ce qui serait complètement idiot, avouons-le.

Pendant ce temps, au Collège de Montréal, école secondaire privée, on vient d’annoncer fièrement que l’on a terminé le 18 janvier l’installation de systèmes intégrés de ventilation et de filtration d’air dans des salles non ventilées mécaniquement, dans un bâtiment vieux de 150 ans. On a notamment installé deux appareils à filtres HEPA par classe. Et on se réjouit d’avoir pu le faire à un coût raisonnable, en puisant à même le budget du collège.

Et la directive de Québec, alors ? Et le « danger » potentiel de ces appareils ?

« C’est sûr que lors de la conférence de presse du 8 janvier, on a eu un petit coup dans les tibias », me dit la directrice du collège, Patricia Steben.

Mais finalement, en réévaluant les choses à la lumière des recommandations de la Santé publique, il semble que les tibias aient tenu le coup.

« J’assume complètement la décision qu’on a prise. Je pense vraiment que c’est la meilleure décision. »

Il y a deux semaines, la direction du collège a fait des démarches pour se conformer aux directives de Québec, qui n’a pas formellement interdit ces appareils, mais simplement exigé que leur installation soit approuvée par des experts provenant d’un comité tripartite au long acronyme (MEQ-CNESST-MSSS).

Et puis ? Et puis… rien.

Aux dernières nouvelles, même si on me dit que l’on veut que cette vérification soit faite « rapidement », le temps de réponse du comité tripartite semble aussi long que son acronyme.

S’il y a vraiment un « danger » d’accroître la transmission de la COVID-19 avec ces appareils en pleine deuxième vague, pourquoi personne ne s’est-il précipité de toute urgence pour veiller à la sécurité des élèves ?

Comme pour les variations dans les lois de la physique, ça reste un mystère.