Voilà des mois que nous vivons une crise. Une crise qui s’éternise. Un drame avec des milliards de victimes. D’abord, les morts. Plus de 2 millions à l’échelle planétaire. Bientôt 10 000, seulement au Québec. Il y aura sous peu 100 millions de malades.

Et puis tous ces travailleurs de la santé épuisés, tous ces commerces fermés. Tous ces employés sans emploi. Tous ces gens isolés, délaissés, démoralisés. Un monde sans spectacles, sans musique, sans théâtre, sans cinéma, sans art. Sans oublier tous ceux qui sont dans le déni. Tous ceux que ça rend agressifs. Qui craignent Bill Gates et la 5G. Ajoutez à cela une Amérique dans tous ses états. Le Capitole saccagé par le club des Bisons des Pierrafeu.

Y’a pas à dire de ce côté-ci de l’arc-en-ciel, c’est pas jojo. C’est pas rose, c’est gris. Toutes nos conversations masquées tournent autour d’un virus. Il n’y a plus de sujets légers. Même Punta Cana rime avec Hiroshima.

L’humain, ce grand naïf, se faisait croire que tout ça était dû à un chiffre : 2020. On a rendu l’année 2020 responsable de toutes nos misères. En étant certain qu’en 2021, on allait faire le party. Nous voilà, à la 23e journée de cette nouvelle année. Rien n’a changé. On est en couvre-feu. On manque de vaccins. Un nouveau variant fait son chemin. Et une autre semaine de relâche s’en vient. La Terre tourne en rond. Et nous aussi.

Peu importe ce dont tu parles, tu parles coronavirus. Que ce soit la politique, l’économie, le showbiz ou le Club Med, c’est du coronavirus.

Heureusement, depuis quelques jours, le plus normal, le plus banal, le plus anodin de tous les sujets, mais en même temps, le plus prenant, le plus emballant, le plus distrayant de tous les sujets est de retour : le Canadien.

PHOTO PERRY NELSON, USA TODAY SPORTS

Le défenseur russe Alexander Romanov, 21 ans, célèbre son premier but dans la Ligue nationale de hockey, lundi soir, contre les Oilers à Edmonton. « Une future superstar », écrit notre chroniqueur Stéphane Laporte.

Le Canadien joue au hockey. Comme avant le 12 mars 2020. Comme avant une éternité. Comme avant le grand emprisonnement. Je sais qu’il a joué, cet été. Mais cet été, c’est comme si on l’avait halluciné. Comme si la sangria avait eu un soupçon de LSD. La fièvre du hockey, quand il fait 35 °C, ça fait à peine frissonner. Le Canadien, ça ne s’apprécie pas en maillot de bain.

Tandis que là, on est en janvier, toute la ville est glacée. On est dedans. En plein dedans. Vous me direz que parler hockey, au Québec, depuis un bout, ce n’est rien pour remonter le moral. On cause série de défaites, défensive poreuse, attaque anémique, gardien impuissant. Ça fait juste changer le mal de place. Vrai, mais pas cette fois. Parce que cette fois, nos Canadiens sont bons. Étonnamment bons. Vraiment. Je sais, vous pensez : Stéphane est trop fan. C’est vrai. Mais justement, le fan, trop souvent déçu, est le volcan le plus difficile à réanimer. Et voilà que s’allume la braise dans mon foyer.

Ça sent la Coupe ? Calmez-vous ! Ça sent plus le Purell que la Coupe. Mais quand même, ça sent surtout la belle saison.

Le CH a toujours les deux mêmes pivots : Price et Weber. Mais autour d’eux, plein de nouveaux venus prometteurs. Des valeureux. Josh Anderson, un gros ailier droit, 6 pieds et 3 pouces, 227 livres, rapide comme une gazelle. Tyler Toffoli, centre ou ailier, comme vous voulez, au tir précis. Joël Edmundson, un défenseur manitobain de 6 pieds et 3 pouces, 227 livres, aussi effacé qu’efficace. Alexander Romanov, 21 ans seulement, un défenseur russe de 6 pieds, 207 livres, intelligent comme le KGB. Une future superstar. Jake Allen, le meilleur gardien numéro deux depuis des lunes. Sans oublier les enfants prodiges, Suzuki et Kotkaniemi, les talents innés, Drouin et Tatar, les guerriers affirmés, Gallagher, Danault, Byron, Lehkonen, et le plus sous-estimé des grands défenseurs, Jeff Petry. Ça commence à ressembler à une équipe qui gagne plus souvent qu’elle ne perd. Le timing ne peut être plus que parfait.

On gueule contre le virus, contre Trudeau, contre les fermetures, contre Horacio, contre le couvre-feu, contre les covidiots et… on dit du bien du Canadien. Ça détend. As-tu vu le but de Suzuki ? As-tu vu l’arrêt de Price ? Bien sûr, ces exploits sont bien futiles à côté de ceux des scientifiques cherchant le meilleur vaccin ou ceux des préposés aux bénéficiaires s’occupant de nos aînés. Mais ce sont des futilités essentielles pour garder son cœur d’enfant. Un enfant n’a pas besoin de prendre l’avion pour s’évader, il ne fait que se transporter dans son jeu pour quitter la réalité. C’est ce que le hockey nous fait.

Jeudi soir, nous étions des milliers de couche-tard à ne plus être en couvre-feu, à être à Vancouver et à patiner des yeux, aux côtés de nos Glorieux. Et quand l’un d’eux comptait, à crier de joie avec eux. Crier de joie, ce n’est pas rien. Ça vaut des heures de yoga. Ça libère l’intérieur. Ça soulage les tensions.

Les Québécois ont retrouvé leur sujet de conversation primaire. Small talk, gros fun. Ce qu’il y a de merveilleux avec le sport, c’est que la fake news frappe un mur. Le score fait foi tout. Les Habs ont gagné 7 à 3. Ils ont gagné 7 à 3. On peut s’enguirlander sur le manque de discipline, l’utilisation d’Allen, le peu de francophones, le résultat ne changera pas. 7 à 3. La vérité, c’est la victoire ou la défaite. Un univers simple, c’est reposant.

Bref, le retour du hockey et le jeu réjouissant du Tricolore joueront un rôle important sur l’humeur ambiante des prochaines semaines. On a beau ne pas être sur place, on a beau être isolé, chacun devant notre télé, quand le CH compte, on crie tous en même temps. Et le cœur l’entend. Et le cœur le ressent.

Ce n’est qu’un jeu. Mais un jeu qui captive, c’est plus qu’un jeu, c’est du feu. Du feu qui réchauffe. Du feu qui éclaire. Du feu qui ravive. Du feu que rien ne peut couvrir.