James Richard Cross, diplomate britannique entré malgré lui dans l’histoire contemporaine du Québec à la suite de son enlèvement par des membres du FLQ, le 5 octobre 1970, est mort.

L’homme de 99 ans est mort dans les derniers jours, un demi-siècle après avoir été kidnappé puis libéré par le Front de libération du Québec (FLQ). Selon son gendre, qui a confirmé son décès, il aurait succombé à des complications liées à la COVID-19.

M. Cross était attaché commercial auprès du consulat général du Royaume-Uni à Montréal au moment de la crise d’Octobre. Il a été séquestré par ses ravisseurs pendant presque deux mois, du début du mois d’octobre au début du mois de décembre 1970, jusqu’à sa libération.

James Richard Cross est enlevé par quatre hommes à la pointe de la mitraillette à 8 h 20, le matin du lundi 5 octobre 1970, à sa résidence du 1297, Redpath Crescent sur le flanc sud-est du mont Royal. Les premiers rapports indiquent que quatre individus ont sonné à la porte, prétextant vouloir remettre un cadeau à M. Cross. Ils sont repartis à bord d’une voiture de taxi.

Rapidement, les ravisseurs diffusent un communiqué dans lequel ils posent six conditions à sa remise en liberté. Celles-ci sont : la libération de certains prisonniers dits « politiques » associés à leur mouvement, la publication du manifeste du FLQ dans les journaux, une rançon de 500 000 $ en lingots d’or que les ravisseurs qualifient de « taxe volontaire », la réembauche des « gars de Lapalme » – des travailleurs mis à pied par Postes Canada –, l’identification de la personne qui a vendu la dernière cellule du FLQ et la mise à disposition d’un avion pour prendre la fuite vers Cuba ou l’Algérie.

Les membres de la cellule Libération lancent un ultimatum de 48 heures aux autorités, qui ont jusqu’au 7 octobre à 8 h 30 pour répondre, sans quoi la vie de leur otage sera en danger. Le ministre canadien des Affaires étrangères, Mitchell Sharp, répond le 6 octobre que le gouvernement fédéral rejette les conditions posées. « Des exigences tout à fait déraisonnables », dit-il. Mais, dans la foulée, il se dit prêt à négocier.

Le FLQ reporte son ultimatum d’heure en heure jusqu’au soir du samedi 10 octobre, alors que la situation prend une tournure encore plus dramatique avec l’enlèvement du ministre québécois du Travail, Pierre Laporte. Ce dernier, aux mains des membres de la cellule Chénier, mourra une semaine plus tard.

James Richard Cross entendra à la télévision l’annonce de sa mort à lui aussi, ce qui était évidemment erroné.

D’ailleurs, dans son ouvrage sur cet épisode, Louise Lanctôt, qui faisait partie de ses ravisseurs, racontera qu’elle et ses camarades lui avaient assuré dès le début « qu’il ne serait pas exécuté », « que ça ne serait pas long ».

Il aurait alors répondu « que ce serait plus long qu’on le pense », qu’à son avis, « le gouvernement ne prenait pas l’enlèvement au sérieux ».

59 jours de captivité

Détenu pendant 59 jours, il sera finalement libéré après négociations le 3 décembre. Auparavant, la police et l’armée canadienne avaient cerné le secteur du 10945, avenue des Récollets à Montréal-Nord, où il était séquestré. Des négociations ont eu lieu entre les représentants des deux parties au pavillon du Canada, déclaré territoire cubain pour l’occasion, sur le site de Terre des Hommes.

L’otage du FLQ est libéré en échange d’un sauf-conduit pour Cuba remis à ses ravisseurs. Ceux-ci, Jacques Lanctôt, Marc Carbonneau, Jacques Cossette-Trudel, Pierre Séguin (pseudonyme d’Yves Langlois), ainsi que des membres de leur famille, sont transportés à La Havane à bord d’un appareil Yukon des Forces armées canadiennes. Ils reviendront quelques années plus tard au Québec, seront arrêtés, condamnés et emprisonnés.

Libéré, M. Cross, qui a perdu 22 lb, s’entretient brièvement avec le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, avant d’être conduit à l’Hôpital général juif de Montréal pour un court séjour.

Il retourne à Londres rapidement après sa libération. Avant de quitter Montréal, il participe à une conférence de presse où il exprime ses condoléances à la famille de Pierre Laporte, qu’il qualifie de « frère ». Une fois arrivé à Londres, il s’adresse de nouveau à la presse, sa femme Barbara à ses côtés.

Il est merveilleux de revenir au monde après en avoir été retiré, après huit semaines. Je réalise combien les petites choses de la vie sont importantes, celles qu’on tient pour acquises.

James Richard Cross

« J’ai toujours cru que j’allais mourir », dira-t-il au quotidien Le Devoir en 2010 à l’occasion du 40anniversaire des évènements.

Longue carrière

L’homme, qui a célébré ses 49 ans le 29 septembre, six jours avant d’être enlevé, a déjà une longue carrière à son compte au moment des évènements.

Né à Nenagh, en Irlande, M. Cross s’enrôle dans l’armée britannique durant la Seconde Guerre mondiale. En 1944, il participe à la libération de la France à titre de membre des Royal Engineers. L’année suivante, il se marie.

Le 22 juillet 1946, il se trouve à Jérusalem, en Palestine sous mandat britannique, lorsque survient l’attentat de l’hôtel King David perpétré par l’Irgoun, groupe terroriste sioniste d’extrême droite. Celui-ci vise les bureaux de la délégation diplomatique britannique. L’attaque fait 91 morts et 46 blessés.

En 1947, il entame sa carrière diplomatique en devenant attaché commercial du Royaume-Uni en Nouvelle-Zélande. Par la suite, il occupera la même fonction dans différentes villes canadiennes ainsi qu’à Kuala Lumpur, en Malaisie.

Au cours de ces années, M. Cross a avoué avoir servi une fois d’appât pour l’agence d’espionnage britannique MI5 afin de soutirer des renseignements à un agent soviétique.

« Je voudrais n’être jamais passé à l’histoire »

« Je voudrais n’être jamais passé à l’histoire », dit M. Cross au début des années 2000 au documentariste montréalais Carl Leblanc, qui lui a consacré un film, L’otage (offert en ligne sur le site de BAnQ). Pour son long métrage documentaire, M. Leblanc accompagne M. Cross au Centre des archives nationales du Royaume-Uni pour lire le dossier lui étant consacré et tenu secret durant 30 ans.

L’homme y découvre que durant sa captivité, les fonctionnaires se sont beaucoup demandé quoi faire avec son cadavre s’il était exécuté, qui assisterait à ses funérailles et quelle compensation remettre à sa femme.

Au sujet de ses ravisseurs, M. Cross porte un jugement sans appel. « Je les hais autant qu’il y a 30 ans », affirme-t-il, notamment en raison du mal qu’ils ont fait à sa femme et à leur fille.

Après son retour au Royaume-Uni, il continue à travailler pour le gouvernement de Sa Majesté, mais n’occupera plus de fonctions à l’étranger. Il doit composer avec le syndrome de stress post-traumatique et il dira plus tard avoir eu du mal pendant longtemps à prendre la décision d’acheter une voiture ou même une chemise. « Il me semble qu’il m’a fallu très longtemps pour redevenir moi-même, retrouver la vivacité d’esprit que j’avais avant octobre 1970 », dit-il dans le documentaire de Carl Leblanc.

À la suite de son enlèvement, il reviendra au Québec à quelques reprises pour voir des amis ou participer à des projets de tournage relatifs aux évènements d’octobre 1970.

Réactions à son décès

Louis Fournier, auteur de l’ouvrage FLQ – Histoire d’un mouvement clandestin, fait remarquer que James Richard Cross a été victime « du tout premier enlèvement politique à être survenu en Amérique du Nord ».

S’il y a survécu, estime le commentateur Marc Laurendeau, c’est en partie parce qu’il est tombé sur des ravisseurs plus modérés que ceux de Pierre Laporte et en partie grâce à son tempérament. « Je crois que sa discipline et sa maîtrise de soi l’ont aidé à survivre », dit-il.

M. Laurendeau croit que l’enlèvement de James Ricahrd Cross a cependant vraiment nui à sa carrière. « À partir de là, il n’a plus été vu comme un diplomate, mais comme un otage. Sa carrière n’a pas été ensuite aussi flamboyante qu’elle aurait pu l’être. »

En entrevue mercredi, le documentariste Carl Leblanc a dit se souvenir d’un homme entièrement solidaire de Pierre Laporte. « Il le considérait comme un frère d’armes, il est resté très fidèle à sa mémoire. »

C’est par égard pour lui, a poursuivi M. Leblanc, qu’il s’interdisait de parler de la sympathie qu’il avait tout de même pour le mouvement de libération nationale des années 1970 au Québec. « Il s’est toujours beaucoup intéressé aux Québécois », a évoqué M. Leblanc, qui garde un souvenir mémorable « de son délicieux sens de l’humour, tout en ironie ».

Dans la foulée du documentaire de Carl Leblanc, Isabelle Hachey, alors correspondante de La Presse à Londres, était aussi allée à sa rencontre en 2004 à Seaford, la ville où il a longtemps habité, dans le sud de l’Angleterre. « Je n’y pense pas tous les jours, mais c’est encore là, dans l’ombre, lui a-t-il dit. Il suffit qu’il y ait un enlèvement quelque part pour que tout resurgisse. »

En entrevue, Jean Laporte, fils de Pierre Laporte, a offert ses condoléances à la famille.

— Avec la collaboration de Louise Leduc et de Philippe Teisceira-Lessard, La Presse