Depuis le début de cette @&#% de pandémie, j’ai résisté à jouer au jeu des comparaisons. La Suède, pays modèle ? Pas tant que ça, finalement. La Colombie-Britannique, championne canadienne au printemps, déploie aujourd’hui des morgues mobiles autour de ses hôpitaux surchargés.

La deuxième vague frappe partout avec plus ou moins de force. Et partout, les mêmes critiques fusent. Covidiots ! Mesures liberticides ! On aurait dû faire ci ou ça…

PHOTO JACK GUEZ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

« Au rythme où vont les choses, tous les Israéliens de plus de 16 ans seront vaccinés d’ici la fin de mars. Déjà, 20 % des 9,3 millions d’Israéliens ont reçu le vaccin », écrit notre chroniqueuse.

Bref, quand on se compare, on se console peut-être, mais jamais pour bien longtemps. L’exercice me semble périlleux et vain. Face à ce virus insidieux, les bons élèves d’aujourd’hui risquent trop souvent d’être les cancres de demain.

Permettez toutefois que je fasse une exception pour vous parler d’Israël. Au rythme où vont les choses, tous les Israéliens de plus de 16 ans seront vaccinés d’ici la fin de mars. Déjà, 20 % des 9,3 millions d’Israéliens ont reçu le vaccin. Au Canada, on n’en est qu’à 1 %.

C’est quand même prodigieux.

Plusieurs facteurs expliquent la redoutable efficacité de la campagne de vaccination israélienne. L’État hébreu est petit, en superficie comme en population. Bien organisé. Riche, aussi. Prêt à payer le prix fort pour mettre la main sur des millions de doses. Et puis, il se comporte avec les Palestiniens comme il a souvent l’habitude de se comporter.

Comme s’ils n’existaient pas.

Encore lundi, le premier ministre Benyamin Nétanyahou a annoncé la construction de 800 logements dans des colonies juives en Cisjordanie. Des Palestiniens ? Où ça ?

Même aveuglement volontaire pour le vaccin. Où ça, des Palestiniens ? Qu’ils se débrouillent…

Mais je m’égare.

Un autre facteur explique le succès israélien : un pacte avec Pfizer. Le géant pharmaceutique a promis de livrer des millions de doses en priorité en Israël. En échange, le gouvernement accepte de lui fournir les données médicales — anonymisées — de ses citoyens.

Autrement dit, Israël servira de laboratoire vivant pour tester à grande échelle l’efficacité du vaccin.

Le pays peut compter sur un système de santé entièrement informatisé. Des masses de données dorment dans les serveurs du gouvernement : qui a reçu le vaccin, quand recevra-t-il la seconde dose, quel est son âge, son sexe, son état de santé, etc. Une mine d’or pour Pfizer.

Les résultats de ses recherches — qu’elle promet de partager avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) — permettront d’élaborer des stratégies de vaccination dans le reste du monde. Et, peut-être, de mettre un terme plus rapidement à la pandémie.

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Cette histoire vous en rappelle une autre ?

En août, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, s’est attiré les foudres de l’opposition lorsqu’il a suggéré d’attirer Big Pharma avec la « mine d’or » que constituent les données de la Régie de l’assurance maladie du Québec.

« Un délire de businessman déconnecté », s’était indigné Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire. « Over my dead body », avait renchéri son collègue Vincent Marissal. « Aussi bien donner les clés de la banque de sang aux vampires. »

La bonne nouvelle, c’est qu’on n’a pas besoin de faire ça. On n’a pas besoin de confier les clés aux vampires.

Scoop : une plateforme informatique développée à l’Université de Sherbrooke — et entérinée par le ministère de la Santé — sera bientôt déployée dans tout le Québec. Elle donnera accès à une foule d’infos médicales essentielles, et ce, de façon éthique et sécuritaire.

Plutôt que de transmettre les données des patients, la plateforme récoltera elle-même ces données auprès des hôpitaux, cliniques et autres sources participantes. Elle fournira les résultats aux chercheurs des secteurs public et privé qui en feront la demande.

« Les risques, pour les données de santé, sont beaucoup moins élevés si on donne la réponse finale à l’entreprise privée que si on transfère les données elles-mêmes », explique le DJean-François Ethier, directeur du Centre interdisciplinaire de recherche en informatique de la santé de l’Université de Sherbrooke.

Les enjeux du consentement et de la transparence sont également cruciaux, souligne-t-il. « Si on peut démontrer aux gens qu’en partageant leurs données, ils peuvent améliorer la vie de leurs concitoyens, je pense qu’ils seront beaucoup plus nombreux à participer aux recherches. »

À suivre avec intérêt, donc.

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En attendant, revenons à Israël et aux Palestiniens.

On peut s’indigner de voir l’État hébreu transporter des cargaisons de doses vers les colonies juives de Cisjordanie pendant que les Palestiniens qui vivent autour doivent s’armer de patience. On peut trouver ça immoral.

Mais si on est honnête, on doit admettre qu’on fait la même chose, à l’échelle de la planète.

Les pays riches se précipitent pour obtenir les vaccins et ne laissent que des miettes aux pays pauvres. Ils ont déjà acheté presque tout l’approvisionnement. Et voilà que certains d’entre eux font monter les enchères en versant des primes plus élevées pour devancer les livraisons.

Aucun pays n’a le droit de « couper la file d’attente » pour faire vacciner toute sa population avant les autres, s’est impatienté le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, samedi dernier. Autant prêcher dans le désert.

Il faut dire que la pression est forte. Même le Canada, autrement fort poli, semble prêt à couper la file d’attente. « Tout est sur la table et nous n’écartons aucune option, a admis la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Anita Anand, le 8 janvier. Nous devons nous assurer de communiquer aux fabricants des vaccins que nous sommes prêts à faire tout ce qui est nécessaire pour mettre la main sur les vaccins et cela, le plus rapidement possible. »

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Dans l’absolu, la campagne de vaccination israélienne est parfaite. Mais il y a une faille. Les Palestiniens.

Au-delà de l’enjeu humanitaire, l’État hébreu a tout intérêt à vacciner ceux dont il occupe les territoires, puisque des dizaines de milliers d’entre eux travaillent en Israël.

La même logique s’applique au reste de la planète. Une vaccination équitable permettrait non seulement de sauver des vies, mais contribuerait à la reprise économique mondiale, en plus de limiter les risques de mutation du virus, a souligné le M. Tedros. « Le nationalisme vaccinal nous fait tous mal et est autodestructeur. »

Le problème, c’est que le monde en a tellement marre de cette pandémie que l’idée d’une potentielle autodestruction lui est sans doute plus supportable que celle de céder la moindre place dans la file d’attente.