(Montréal) Tandis que les refuges de Montréal débordent et que certains sont aux prises avec des éclosions majeures de COVID-19, une dizaine de groupes qui œuvrent auprès de personnes précaires et marginalisées ont dénoncé lundi soir l’imposition du couvre-feu.

« Avec les éclosions récentes dans les refuges, moi, je comprends que les gens aient la chienne d’y aller », a lancé le travailleur de rue Emmanuel Cree, lors d’une conférence de presse tenue à l’extérieur peu avant le début du couvre-feu alors qu’à quelques pas de là, des itinérants faisaient la file pour entrer dans un hôtel converti en refuge.

Désemparé, M. Cree a énuméré une foule de situations problématiques. Par exemple, qu’une personne habitant dans un appartement surpeuplé ou qui vit de la violence ne peut plus prendre « un break » le soir en allant marcher.

« Une personne voulant s’injecter sécuritairement dans un site d’injection après 20 hy aurait-elle accès ?, s’est-il demandé. Sera-t-elle à risque de se faire intercepter, fouiller, de devoir révéler qu’elle va s’injecter, de se faire donner une contravention pour possession ? On est en pleine crise des surdoses. Est-ce que certaines personnes vont de facto être mises plus à risque ? »

Sa préoccupation était partagée par Em Steinkalik, une intervenante qui travaille pour un organisme communautaire qui s’adresse aux jeunes de 12 à 25 ans qui échangent des services sexuels contre rétribution.

Selon elle, « la répression et le climat de peur » éloigneront les personnes vulnérables des services mis à leur disposition, les pousseront à consommer dans des endroits non sécuritaires et à exercer le travail du sexe dans des conditions plus risquées.

Constats d’infraction

À Montréal, sur 122 interventions durant le couvre-feu, les policiers ont remis un constat d’infraction à « une personne qui s’identifiait comme itinérant » lors de la nuit de dimanche à lundi. « C’est une arrestation criminelle concernant des stupéfiants », a expliqué l’agent Manuel Couture, un porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal.

Un itinérant qui refuse d’aller dans un refuge ne va pas nécessairement recevoir un constat d’infraction, a insisté l’agent Couture expliquant que les policiers de la métropole ont reçu la consigne claire de faire preuve de jugement.

Ailleurs au Québec, les policiers ont remis deux constats d’infraction de 1550 $ à deux itinérants de Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue, lors de la deuxième nuit du couvre-feu, a indiqué Stéphanie Quesnel, la directrice générale du refuge La Piaule.

« Ils n’ont pas voulu respecter certaines règles de conduite, ont décidé de partir par eux-mêmes […] et ils ont été interceptés », a-t-elle raconté en entrevue avec La Presse Canadienne, estimant que les itinérants devraient bénéficier d’une immunité étant donné qu’au prix du constat, « c’est impossible pour quelqu’un qui est à la rue, qui n’a pas de revenu, de pouvoir payer ces montants-là ».

Questionné lundi après-midi sur la possibilité de mettre en place une telle exception, le premier ministre François Legault a contourné la question en insistant qu’il n’y a eu qu’un constat remis à Montréal.

Éclosion majeure

« On est en train de gérer actuellement une éclosion importante au sein de la communauté autochtone itinérante à Montréal », a confié Heather Johnston, la directrice générale de Projets autochtones du Québec. Deux des refuges d’urgence opérés par l’organisme sont aux prises avec « des niveaux de positivité entre 50 % et 70 % ».

La Santé publique de Montréal n’a pas indiqué combien d’itinérants autochtones ont été déclarés positifs à la COVID-19, mais a précisé qu’environ 150 usagers et travailleurs du milieu de l’itinérance ont reçu un résultat positif depuis le début du mois de décembre.

« Nous avons besoin de davantage d’aide », a imploré lundi soir Nakuset, la directrice générale du Native Women’s Shelter, demandant à la mairesse Valérie Plante de déclarer l’État d’urgence urgence pour la population itinérante.

« Lorsque vous serez tous confortables dans votre lit ce soir, eux, ils seront en train de marcher un peu partout en ville », a-t-elle lancé.

Selon la Mission Old Brewery, les refuges et toutes les autres ressources d’hébergement de Montréal sont à pleine capacité depuis la mise en vigueur du couvre-feu, et ce malgré les nouveaux services, dont les chambres de l’hôtel Place Dupuis qui accueillent désormais les itinérants, une situation notamment attribuable à la distanciation physique.

« Partout, c’est saturé », a résumé Émilie Fortier, la directrice des services d’hébergement d’urgence et d’accompagnement de l’organisme. Elle estime qu’au bas mot 50 à 100 places sont manquantes pour les personnes intoxiquées ou avec des problèmes de comportement ou avec des problèmes de santé mentale.

Lorsque les lits sont tous comblés, les intervenants en cherchent dans d’autres ressources en hébergement d’urgence, a déclaré Mme Fortier, admettant du même souffle que « vient un temps » où ils doivent expliquer à l’itinérant qu’il n’y a pas de place nulle part.

La température a été clémente lors des dernières nuits, mais ceux qui viennent en aide aux itinérants ont entamé « une course contre la montre » pour développer des solutions avant que le mercure ne plonge.

Plusieurs refuges avec qui La Presse Canadienne a discuté ont estimé que le premier ministre Legault avait tord de dire mercredi dernier qu’il y a suffisamment de place pour accueillir tous les itinérants, l’un d’eux illustrant même que c’est tellement plein que les chambres, les couloirs, les salles à manger ou encore les cuisines sont transformés en dortoir.