Et puis, êtes-vous prêts ? Êtes-vous prêts à prolonger votre confinement ? À respecter les mesures d’un couvre-feu ? À continuer d’assurer l’école à la maison pour vos enfants ?

Êtes-vous prêts, surtout, à vivre tout cela avec des gens qui ne marcheront pas dans la même direction que vous ?

J’ai passé une bonne partie de la journée de mardi à circuler dans les rues de Montréal, à jaser avec des gens, à tenter de lire, par-dessus leur masque, leur désarroi ou leur déprime. J’ai plutôt eu droit à de la résilience, du courage et de la bonne humeur.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

« Les gens sont au bout du rouleau, on le sent bien. C’est palpable », écrit notre chroniqueur Mario Girard.

Ça m’a renversé.

« Il faut toujours guetter la lumière qui se trouve au bout du tunnel », m’ont dit Delphine et Jean-Philippe. Les deux amoureux attendaient l’autobus qui allait les amener au mont Royal pour un après-midi de ski de fond.

« C’est difficile de savoir comment les gens de notre entourage vivent cela, on ne voit plus personne », a ajouté Delphine.

Cet optimisme, je l’ai également retrouvé chez Sabrina Abrée et Kylian Noireault. La première est une spécialiste de la désinfection des plateaux de tournage, alors que le second travaille au service des incendies d’un CISSS de la région montréalaise.

« Honnêtement, on se compte chanceux, on a un emploi. Des gens autour de nous ont perdu leur travail. Ça pourrait être pire. »

Sandro Carpené, propriétaire d’Arte & Farina, vit les choses au jour le jour. « S’il faut que je ferme encore mon commerce, je le ferai », dit-il. L’homme se console en se disant qu’il a fait de bonnes affaires durant le temps des Fêtes.

Il faut évidemment recevoir ces commentaires avec précaution. Les gens avec lesquels je me suis entretenu faisaient partie des rares citoyens qui marchaient dans les rues de la ville.

Je n’ai pas rencontré de personnes âgées, je n’ai pas croisé de personnes qui se terrent depuis des semaines dans leur appartement et je n’ai pas échangé avec des grands-parents qui sont privés de câlins de leurs petits-enfants depuis des mois. Je n’ai pas discuté non plus avec des célibataires, de nouveaux chômeurs, des personnes handicapées.

Pour toutes ces personnes, les prochaines semaines seront extrêmement difficiles. Et elles souhaitent sans doute que ces demandes n’aillent pas en crescendo au cours des prochaines semaines.

Les gens sont au bout du rouleau, on le sent bien. C’est palpable. Faut-il préciser que l’effort supplémentaire qu’on nous impose survient, pour nous Québécois, en plein mois de janvier ? Nous ne sommes pas en juillet, pas en septembre, nous traversons le mois le plus accablant de l’année.

Cette fatigue, Manuel Lavalette, éducateur de garderie, la ressent tous les jours. Ces signes se font même voir chez les enfants de 18 mois dont il a la responsabilité. « Ils pleurent plus souvent, dit-il. Ils ressentent ce stress ambiant. »

Il m’a décrit l’ensemble des règles sanitaires avec lesquelles ses collègues et lui doivent composer depuis des mois. J’avais la tête qui tournait. « Si les enfants ont le nez qui coule, ils ne peuvent venir à la garderie. Or, nous sommes en pleine saison des rhumes. Ce n’est vraiment pas simple. »

Je me suis entretenu avec Manuel alors qu’il était à l’extérieur avec le groupe des Loupiots. Il amorçait la construction d’un château fort qui sera fait de blocs de neige. « On va le présenter au Défi château, m’a-t-il dit, très fier. Le groupe des Perlimpinpins (5 ans) va venir m’aider tout à l’heure. »

Quelle ardeur !

Manuel m’a quitté, car il a dû intervenir auprès d’un petit bonhomme qui avait perdu sa mitaine. Un autre pleurait dans les bras d’une éducatrice. Une petite aux yeux noisette m’a regardé en souriant et m’a offert de manger de la neige.

Une autre fois, ma chouette ! J’ai déjà pris mon petit-déjeuner !

***

Mon père m’a appris à me méfier de certaines personnes dans la vie. Les messieurs seuls en voiture, les politiciens et les vendeurs toutes catégories confondues. Bref, il y a chez moi une part de méfiance et une part de candeur qui forment un pas pire équilibre.

J’avoue cependant que ma naïveté en a pris un coup récemment. J’ai toujours pensé que s’il nous arrivait une grande catastrophe ou un conflit majeur, nous, les Québécois, saurions affronter collectivement cette tempête.

Tous pour un…

Je pense que le grand choc de cette pandémie a été de constater que ça ne serait pas du tout le cas. Si nous devions vivre une grande épreuve, nous adopterions sans doute le principe du « au plus fort la poche ».

On ne cesse de nous le répéter depuis de nombreuses années : nous sommes à l’ère de l’individualisme. La crise que nous connaissons en ce moment nous le prouve brutalement, férocement, sauvagement.

Ça fait mal.

Mardi, au 98,5 FM, on demandait aux auditeurs comment ils s’apprêtaient à vivre les prochaines étapes de cette crise sanitaire et économique. C’était frappant de voir comment les gens ramenaient tout à eux, tout à leur petit univers, tout à leur réalité.

Moi, moi, moi…

Après neuf mois, on a oublié qu’il n’y avait qu’un seul ennemi à affronter dans cette affaire : un virus.

***

Au tout début de la pandémie, j’ai consacré beaucoup de temps à marcher dans les rues de Montréal. L’ambiance de cette ville morte et vide m’a fait écrire quelques chroniques.

Mardi, j’ai retrouvé la même atmosphère. Vous me direz que beaucoup de gens sont encore à l’extérieur, mais les rues, à part les camions qui assurent l’opération d’enlèvement de la neige, étaient désertes.

Le centre-ville, dont on craint le pire pour les prochains mois, était calme. Un mini-campement de sans-abri était érigé devant le magasin La Baie. Il était troublant de voir la présence de cette extrême pauvreté sous des publicités d’Hermès et de Dior.

Les seules zones d’activité étaient les chantiers de construction. L’avantage pour les travailleurs, c’est qu’ils peuvent jouir en ce moment de tout l’espace qu’ils veulent. Il n’y a personne pour les gêner.

Dans les quartiers centraux, la population est composée d’un tiers de travailleurs qui se rendent au boulot, d’un tiers de gens qui font leur jogging ou se promènent avec bébé dans la poussette, et d’un tiers de sans-abri.

On dit que la ville a une figure et que la campagne a une âme. Pour le moment, on n’a rien de tout cela.