Produits comestibles au cannabis offerts dans des emballages calqués sur ceux de grandes entreprises reconnues, livraison dans des boîtes aux lettres pour éviter les contacts de main en main, annonces sur les réseaux sociaux prisés par la jeune clientèle : les trafiquants de marijuana ont rivalisé d’ingéniosité cette année pour faire face au ralentissement de leurs affaires causé par la pandémie. Du côté des policiers, ce ralentissement s’est traduit par une diminution du nombre de saisies effectuées en 2020 comparativement à 2019.

C’est ce qu’a expliqué à La Presse, dans une entrevue de fin d’année, la commandante Manon Dupont, responsable de l’escouade ACCÈS cannabis du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), une section d’enquête financée par Québec pour lutter contre le trafic illégal de marijuana.

Entre le 1er avril 2019 et le 31 mars 2020, les enquêteurs d’ACCÈS cannabis du SPVM ont traité 236 dossiers. Entre le 1er avril 2020 et le 17 décembre dernier, ils en étaient à 198 dossiers traités depuis le début de l’année fiscale, une tendance à la baisse causée par la pandémie de COVID-19.

« Le confinement, la fermeture des bars et des cafés, les règles à respecter, cela a affecté tout le monde, incluant les criminels. Ceux-ci ont dû innover et trouver des solutions de rechange pour pouvoir continuer leur entreprise », affirme la commandante Dupont.

Oui, il y a eu un ralentissement en raison de la COVID-19, mais ça reprend pas mal son cours normal.

Manon Dupont, responsable de l’escouade ACCÈS cannabis du SPVM

Au cours des derniers mois, les enquêteurs d’ACCÈS cannabis du SPVM ont constaté que pour éviter les contacts de main en main avec les clients, des trafiquants ont déposé leurs produits dans des boîtes aux lettres ou dans d’autres endroits précis, ont créé des sites web ou utilisé les réseaux sociaux, surtout ceux prisés par une clientèle plus jeune, pour livrer et annoncer leurs produits. « Les clients peuvent croire que c’est moins cher, mais il faut ajouter les frais de livraison », affirme Mme Dupont.

« C’est à s’y méprendre »

Au cours des derniers mois, les enquêteurs ont saisi des paquets de bonbons Nerds et de Skittles au cannabis ; la marque, l’emballage et les bonbons eux-mêmes ressemblent à s’y méprendre aux vrais.

PHOTO FOURNIE PAR LE SPVM

Des paquets de bonbons Nerds au cannabis ; la marque, l’emballage et les bonbons eux-mêmes ressemblent à s’y méprendre aux vrais.

Il faut remarquer les feuilles de marijuana et les indices en THC affichés discrètement sur les paquets pour réaliser la véritable nature du produit.

« Les criminels sont de plus en plus doués pour faire des répliques de grandes marques. C’est à s’y méprendre. On retrouve pratiquement des copies de produits connus et il faut vraiment s’attarder aux détails pour y voir, par exemple, une image de feuille de pot en arrière-plan. Dans les produits comestibles, c’est un fléau. C’est apeurant parce que même une personne sensible et éduquée pourrait n’y voir que du feu. C’est la nouvelle tendance. Ils sont très avant-gardistes pour la qualité de l’emballage. C’est très attrayant, avec de belles couleurs. Des enfants pourraient penser que ce sont des bonbons. Les jeunes regardent les sites web. Ils sont bien faits et leur semblent très professionnels, mais ce n’est pas un gage de la qualité du produit à l’intérieur des emballages », souligne la commandante Dupont.

L’équipe ACCÈS cannabis du SPVM met en priorité les dossiers dans lesquels des mineurs pourraient être exposés à la vente de la marijuana.

La commandante Dupont est incapable de dire dans quelle proportion le crime organisé se profile derrière ces produits illégaux, par rapport aux trafiquants indépendants.

Lorsqu’ils ont un suspect ou une adresse dans leur ligne de mire, les enquêteurs vérifient systématiquement si Santé Canada a délivré un permis de culture de cannabis.

Même si des enquêteurs ont confié à La Presse que ces permis peuvent rendre leurs démarches plus difficiles, Mme Dupont assure qu’un suspect détenant une telle autorisation de Santé Canada sera arrêté et condamné si l’enquête a démontré qu’il a outrepassé le nombre de plants fixé par son permis ou qu’il en a vendu illégalement.

La commandante Manon Dupont affirme également que maintenant que les Québécois connaissent la Société québécoise du cannabis et sont de plus en plus informés, les dénonciations contre la vente de cannabis illégal, en particulier par l’entremise d’Info-Crime, ont doublé depuis 2018.

Saisies faites par l’escouade ACCÈS cannabis du SPVM

Et ailleurs au Québec ?

Outre celle du SPVM, le gouvernement du Québec finance des escouades ACCÈS cannabis dans 12 autres corps de police municipaux, dont ceux de Laval, Longueuil, Québec et Gatineau. Les équipes qui se consacrent à la lutte contre le trafic illégal de marijuana ont également été renforcées à la Sûreté du Québec. Selon des chiffres du ministère de la Sécurité publique, depuis la légalisation du cannabis, 1200 enquêtes policières ont été réalisées partout au Québec, et celles-ci ont mené à la saisie, au total, de plus de 500 kilogrammes de cannabis et à l’arrestation et la mise en accusation de 1500 individus. Une porte-parole du ministère a indiqué qu’il était trop tôt pour évaluer combien représentent, en taxes éludées, les saisies de marijuana illégale effectuées par les escouades ACCÈS cannabis depuis qu’elles sont en activité. Elle a toutefois précisé que depuis la création de la Société québécoise du cannabis (SQDC), celle-ci a vendu 75 tonnes de cannabis et aurait accaparé 50 % du marché illicite de marijuana par l’entremise de ses 46 succursales.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.