Après avoir traité pendant 38 ans ses patients du quartier Saint-Henri, à Montréal, la Dre Danièle Fortin a pris sa retraite le 1er janvier. C’est le cœur gros qu’elle quitte ses 1000 patients, dont beaucoup qu’elle soigne depuis leur naissance.

« J’ai eu une clientèle super attachante. J’ai des patients de 37-38 ans qui n’ont eu que moi comme médecin toute leur vie », raconte l’omnipraticienne de 64 ans.

La Dre Fortin a commencé sa carrière comme médecin de famille en juillet 1982 au CLSC de Saint-Henri. À l’époque, c’était un quartier ouvrier. « Presque tout le monde travaillait. Il y avait beaucoup d’usines au bord du canal de Lachine. Une usine de matelas. Une autre de tapis. Mais ça restait un quartier défavorisé », raconte-t-elle.

Pendant les 10 premières années de sa carrière, la Dre Fortin soigne beaucoup d’enfants. « On faisait de la pédiatrie sociale. On travaillait avec les travailleuses sociales. Les infirmières. On allait faire des visites dans les familles », se souvient la Dre Fortin, qui s’ennuie de ces années où elle avait plus de temps à consacrer à ses patients.

Au fil des ans, de nombreux patients ont marqué la Dre Fortin. La médecin se souvient particulièrement d’une famille dont les deux parents étaient toxicomanes et dont les enfants ont dû être placés en famille d’accueil. Et aussi de ce couple avec des problèmes d’alcool qui a perdu la garde de ses enfants. Ceux-ci, devenus grands, sont toujours ses patients. « Et la mère, qui a surmonté son problème, aussi », témoigne la Dre Fortin.

Dans les années 1990, la Dre Fortin quitte le CLSC pour travailler dans une clinique médicale du quartier Saint-Henri. Les horaires sont plus faciles à concilier avec sa vie de jeune mère. Elle soigne alors des patients adultes. Elle reviendra travailler au CLSC de Saint-Henri en 2003.

Un quartier qui s’embourgeoise

Le quartier Saint-Henri a beaucoup évolué au fil des ans. Et la Dre Fortin est bien placée pour le savoir. Car en plus d’y travailler, elle a habité pendant 29 ans dans le quartier voisin, la Petite-Bourgogne. « J’ai côtoyé ma clientèle au quotidien. Au Super C. Au marché Atwater […] », raconte-t-elle.

Cette proximité l’a-t-elle incommodée ? « Jamais. Mes patients me saluaient. Mais ils n’étaient pas achalants. Je faisais partie de leur vie », dit-elle.

Depuis huit ans, la Dre Fortin constate que le quartier « se gentrifie beaucoup ». Incapables de payer leur logement, certains de ses patients ont quitté Saint-Henri. Plusieurs pour Châteauguay et Saint-Constant. « C’est malheureux », dit-elle.

La moitié des patients de la Dre Fortin ont des problèmes de santé mentale. Sur ses 1000 patients, certains seront pris en charge par des collègues. Les autres seront mis sur une liste d’attente. « Ça me rend triste. Mais ce qui me touche, c’est que ces patients comprennent. Ils sont reconnaissants, même si je les quitte… Je suis vraiment surprise », dit-elle.

Dès janvier, la Dre Fortin s’installera dans une demeure des Laurentides. Son nouveau plan de vie ? Faire du ski de fond. Tous les jours. En prévision de son départ, la Dre Fortin a établi une liste de patients qu’elle juge « prioritaires ». Des gens ayant notamment des problèmes de santé mentale. Elle s’inquiète particulièrement pour ceux-ci. « J’espère qu’on va rapidement leur trouver quelqu’un […], dit-elle. Les collègues me manquent déjà avec la COVID. Mais ce qui va le plus me manquer, ce sont les patients. Leur côté chaleureux. »