Dans les centres de réadaptation gérés par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), la scolarisation des jeunes placés n’est tout simplement pas une priorité, conclut un nouveau pan de l’Étude sur le devenir des jeunes placés (EDJeP).

À peine le quart des jeunes placés par la DPJ parviennent à obtenir un diplôme d’études secondaires (DES) à 19 ans, comparativement à près de 80 % des jeunes qui n’ont pas de parcours dans les services sociaux, avait conclu la première partie de cette grande étude sur une cohorte de 1000 ex-jeunes de la DPJ. Même les élèves en difficulté font mieux que les jeunes de la DPJ : plus de la moitié d’entre eux obtiennent leur DES, soit pratiquement deux fois plus que les jeunes placés.

Face à des résultats très préoccupants, les chercheurs de l’EDJeP ont voulu comprendre pourquoi les jeunes placés en centre de réadaptation avaient un si piètre bilan sur le plan scolaire.

On s’est dit qu’il fallait absolument qu’on regarde les conditions organisationnelles qui causent cette sous-scolarisation.

Martin Goyette, chercheur principal de l’Étude sur le devenir des jeunes placés

Ils ont donc examiné à la loupe les écoles à l’intérieur des centres de réadaptation, où les classes rassemblent souvent des jeunes de plusieurs niveaux scolaires et où les enseignants sont parfois épaulés par des éducateurs tant les jeunes ont de lourdes problématiques sur le plan social.

Les chercheurs ont interviewé près de 25 personnes travaillant dans les milieux scolaires de plusieurs centres de réadaptation. Directeurs, enseignants ou éducateurs ont fait part aux chercheurs des problèmes qu’ils rencontraient au quotidien.

Les conclusions auxquelles l’étude en arrive sont désolantes. Les chercheurs décrivent des milieux scolaires où la nécessité de scolariser les jeunes semble être aléatoire et où, parfois, certains cours obligatoires à l’obtention du DES ne peuvent même pas être offerts, faute de profs. À cause de la sacro-sainte règle de la confidentialité, les profs ignorent d’ailleurs à peu près tout des enjeux sociaux des enfants qui sont devant eux.

Bref, un centre de réadaptation et une école à l’intérieur de ce centre qui fonctionnent tous deux en silos.

Le scolaire est souvent relégué au second plan. On préfère les envoyer sur le marché du travail dans des petits boulots. La perspective, c’est la réadaptation, et on met de côté la scolarisation, qui, pourtant, devrait être au cœur de la réadaptation.

Martin Goyette, chercheur principal de l’Étude sur le devenir des jeunes placés

Signe bien tangible que l’école passe en deuxième, l’un des intervenants indique que les éducateurs débarquent à n’importe quel moment à l’école pour rencontrer des jeunes ou les emmener voir des spécialistes. « Comment le jeune va s’investir à l’école si le regard des adultes, c’est que l’école, c’est pas si important que ça ? Comment voulez-vous que l’acteur principal de ces apprentissages se mobilise par rapport à l’école si tout le monde autour trouve qu’il y a plein de choses plus importantes qu’aller à l’école ? »

« Le volet protection de la jeunesse prend le pas sur la scolarisation… comme si l’école ne faisait pas partie de la vie », souligne la cochercheuse de cette étude, Mélissa Ziani, de l’École nationale d’administration publique.

Plusieurs facteurs problématiques relèvent de la judiciarisation des cas de DPJ. Un enfant, par exemple, qui est envoyé en centre par le tribunal de la jeunesse, ou alors en ressort, au beau milieu d’une année scolaire. Mais certaines lacunes relèvent des intervenants eux-mêmes : des éducateurs mal renseignés, qui affirment à un jeune qu’il lui sera impossible d’obtenir son DES… alors qu’un conseiller en orientation en arrive à la conclusion inverse.

« C’est une loi de scolariser ces enfants-là, et ils ont le droit d’avoir accès à une éducation de qualité. Si le système fait en sorte qu’il n’ont pas accès, c’est comme si on leur nie ce droit-là », conclut l’un des acteurs scolaires interviewés par les chercheurs.