Je dis souvent : on choisit tous nos prisons. Façon de parler, mais vous comprenez : on fait des choix. On s’enferme dans des paramètres où on tente d’être libres…

C’est vrai pour le travail, c’est vrai pour l’amour, c’est vrai pour le cash. Pour plein de choses.

Je ne dis pas que ça marche. Je dis qu’on essaie de trouver du bonheur dans ce long fleuve pas du tout tranquille qu’est la vie, vie qu’on tente de traverser sans être trop amoché.

Parlant de fleuve, il y a des Montréalais qui font du surf, ici même dans le 514. Le saviez-vous ? Dans les rapides de Lachine, à LaSalle. Une forme urbaine de surf : ils sont là, avec leurs combinaisons thermiques, à faire du surplace dans les rapides, à contre-courant, à tenter de ne pas tomber…

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Le printemps en plein mois de novembre : un surfeur profite de la vague derrière Habitat 67, à Montréal.

Je suis tombé sur une séquence récemment filmée dans les récents beaux jours printaniers : le surfeur est en suspension, il n’avance pas, il n’est pas porté par une vague comme on l’est au Costa Rica ou à Hawaii…

Je regardais la vidéo, hypnotisé. C’est hallucinant de grâce et de maîtrise.

La game, ici, est de rester debout sur sa planche en attaquant simplement le flot déchaîné des eaux, en équilibre, en positionnant la planche au gré des vagues, toujours à une crispation musculaire de prendre une débarque. Simple et compliqué. C’est une forme d’abandon.

Et j’ai pensé : c’est nous, ça, nous tous, toujours à ÇA de tomber dans le fleuve pas tranquille de nos vies de fous…

Long détour pour vous dire quelque chose que je laisse sortir sans trop de cérémonie, en cette deuxième vague de COVID-19 qui ne veut pas s’aplatir…

Crisse que je suis tanné.

Cette vague nous est imposée, nous n’avons pas un mot à dire. Nous, humains, harnachons les rivières quand elles nous gênent, quand elles peuvent éclairer nos villes… Mais cette vague-là, on ne peut pas la dompter. Et nous voilà tous encabanés, confinés, semi-confinés, on ne sait plus trop quel terme utiliser…

Distancés ?

Distanciés ?

J’en perds mon latin.

Mais je sais ceci : je serais prêt à utiliser le mot « présentiel » à jamais pour être en présence de ceux que j’aime. Tanné du distanciel. J’ai envie de serrer ceux que j’aime dans mes bras, de piger dans le même sac de chips qu’eux, de recevoir leurs gouttelettes dans la face parce qu’ils rient aux éclats à une joke de pet de mon ami André (mon ami André est le spécialiste des jokes de pet), et sachez qu’il n’y a parfois rien de plus drôle que ça.

On a vécu une forme de printemps, ces derniers jours. En début de semaine passée, j’allais travailler en vélo et j’avais une cagoule de pirate de l’air des années 1970 sous mon casque, à cause du froid. Mardi, dans ce printemps de novembre, j’ai roulé en t-shirt dans l’odeur des feuilles qui formaient un tapis jaune sur la piste cyclable, en bordure du parc.

Un printemps au cœur de l’automne. Suis-je fleur bleue de vous dire que j’en ai profité à l’os ? J’ai pris du soleil ces derniers jours comme on remplit sa gourde avant une longue randonnée en forêt. Être croyant, je dirais que c’est un cadeau du ciel.

Mais l’hiver viendra comme il viendra toujours. Et cet hiver-là ne sera pas comme les autres. L’encabanement sera à double tour.

Crisse que je suis tanné. Comme vous, comme nous tous. Je ne sais pas quelle est la solution, remarquez. Je regarde ailleurs, je me dis qu’il n’y a pas de réponse parfaite, ou presque. Je me dis que les admirateurs de la Suède sont soudainement discrets, ce que je souligne sans triomphalisme : je pense qu’on aura des réponses parfaites quand le virus sera parti, quand la poussière sera retombée, quand la science – virologique, épidémiologique, sociologique, économique, psychologique – aura eu l’avantage du recul et des années pour déterminer les meilleures pratiques…

Évidemment, ce sera trop tard. Ça servira pour la prochaine pandémie, pour les hamsters qui chercheront comme nous le bonheur dans le labyrinthe de la vie dans 90 ans…

Ou ça ne servira pas, c’est selon. Probablement pas.

J’ai roulé dans le printemps, j’ai roulé sur la nouvelle piste cyclable de Mme Plante, sur Saint-Denis.

J’ai adoré, au fait. J’aime bien l’idée de multiplier les endroits dans la ville où on peut rouler sans risquer de se faire tuer par un camion de déménagement pressé ou par la portière d’un automobiliste distrait : je trouve ça civilisé comme idée. Je suis désolé si je suis polarisant.

L’hiver sera encabané, on le sait. Plus qu’à l’habitude. Noël ressemble à Liberté 55, inatteignable. J’ai l’ambition de rouler en vélo quand ce sera sec, même quand l’hiver aura repris ses droits. J’ai jamais fait ça, du vélo en hiver. Ce sera mon combat personnel contre l’encabanement.

J’ai lu récemment quelqu’un – j’oublie qui – pester contre cette idée de piste cyclable sur Saint-Denis, en y voyant un autre signe de l’invasion du gauchisme…

C’est une opinion que je trouve drôle, mais pas drôle comme une joke de pet, remarquez : pousser les gens à utiliser leur vélo pour se déplacer, me semble que ce n’est ni de droite ni de gauche, c’est cardiovasculaire.

Et plus je roule, moins je suis gêné, tout nu. Mon corps aime ça, rouler. Il y a comme une relation de cause à effet. C’est drôlement fait, le corps humain…

Mais l’effet le plus radical de la pédale est dans ma tête – parce que comme chacun le sait, 78 % des batailles que nous menons se passent dans nos têtes –, les endorphines sont bonnes contre la déprime. Je suis plein d’endorphines quand j’arrive au bureau, quand je reviens à la maison, après avoir roulé une demi-heure dans le chaud ou dans le frette…

Pour le surf, ce sera pour un autre hiver. L’automne revient en ville ce week-end. On lâche pas, on s’accroche.