Le New York Times venait de mettre à jour son site web pour annoncer un écart de 30 votes du collège électoral quand j’ai senti soudainement, malgré ces chiffres encore trop peu rassurants, le besoin urgent de texter à mes amies américaines. Simran, Karla…

« Êtes-vous OK ? »

La liste de tout ce que je déteste au sujet de Donald Trump est longue, mais il restera toujours dans mon cœur, d’abord et avant tout, le gars de la vidéo d’Access Hollywood, celle où il se vante d’agresser sexuellement les femmes, parce que « quand t’es une vedette, elles te laissent faire ». Le gars qui parle régulièrement des femmes avec des mots intolérables : « grosse », « laide », « vilaine », « gueule de cheval ». De chien. De truie.

PHOTO LAWRENCE BRYANT, REUTERS

Des électrices écoutent le discours de la candidate à la Chambre des représentants des États-Unis, Cori Bush, le jour des élections, à son siège de St. Louis, au Missouri.

Quand je pense à lui, je pense aux femmes américaines qui doivent vivre avec ça, à la tête du pays. Ce gars qui s’est empressé de nommer une juge anti-choix à la Cour suprême alors qu’il n’en avait plus vraiment la légitimité.

Comment se sentir en sécurité avec ce gars-là ?

Et il pourrait être réélu pour quatre ans ?

Mes amies, comment allez-vous ?

Évidemment, Trump, c’est aussi celui qui a retiré les États-Unis de l’accord de Paris sur les changements climatiques, qui a autorisé l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles dans plusieurs endroits protégés, qui a séparé les enfants de leurs parents dans des conditions tragiques, à la frontière, mesure de dissuasion d’une cruauté infinie pour prétendument diminuer l’immigration venue d’Amérique latine. Trump, c’est aussi celui qui refuse de dénoncer solidement, sans équivoque, les racistes d’extrême droite, qui remet en question la science. C’est le menteur effronté qui fait fi ouvertement de l’importance de dire la vérité. Celui qui ne paie pas d’impôts. Qui a semé le doute puis fini par presque démolir la confiance fondamentale du peuple américain dans une de ses institutions démocratiques les plus essentielles : la presse professionnelle, libre.

Trump, c’est celui qui ne respecte pas le rôle pour lequel il a été élu.

Bref, la liste des raisons de honnir cet homme est immensément longue.

On n’a qu’à choisir la sienne.

Mais moi, c’est vraiment sa misogynie qui me vient d’abord à l’esprit quand je pense aux gens qui votent quand même pour lui.

Comment peut-on accepter ça ?

Comment peut-on passer à côté ?

Qui sont ceux qui ne voient pas la gravité du problème ?

Doit-on continuer de détester Trump ? Ou le problème, maintenant, n’est-il pas clairement chez ceux qui l’appuient, malgré tout ? N’est-ce pas d’eux qu’il faut se mettre à parler sérieusement, qu’il faut chercher à comprendre ?

Et qui défendra, protégera mes amies ?

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J’aurais tellement aimé écrire ici une longue chronique pour saluer une victoire précoce, éclatante, sans équivoque de Kamala Harris. Une première. Une femme à la Maison-Blanche. Pas dans la fameuse West Wing. Mais quand même à la vice-présidence. Incroyable ! Et une femme née de parents indien et jamaïcain. Une femme brillante qui a du cœur, une progressiste réaliste.

J’aurais aimé parler du sentiment de soulagement. D’espoir. Du calme que cela aurait créé dans ma tête, dans mon cœur et celui de tant de gens.

D’une impression de nouvelle sécurité.

J’aurais aimé parler du retour de la décence à la présidence.

À la place, je suis là, devant mon écran, incrédule, et j’essaie de suivre l’évolution du vote, voir passer l’écart du nombre de grands électeurs entre Biden et Trump de 26 à 30, à 39, à 23… En me demandant où sont les appuis si majoritaires pour Joe Biden dont les sondeurs nous ont parlé depuis plusieurs semaines, plusieurs mois.

***

Mes amies américaines me répondent enfin.

Elles sont horrifiées.

Mais Simran Sethi m’envoie des nouvelles de Ritchie Torres et Mondaire Jones, deux jeunes noirs élus à la Chambre des représentants, fiers représentants de la communauté LGBTQ. « Tiens, voici une lueur », me dit-elle. « Mais ce n’est pas une soirée facile », dit la journaliste, qui m’envoie d’autres bribes d’information. Sarah McBride, une trans, a été élue au Sénat de l’État du Delaware, et une femme noire qui a joué un rôle-clé dans le mouvement Black Lives Matter, Cori Bush, a été élue représentante au Missouri. « Les États-Unis, c’est le pire et le meilleur endroit du monde », m’écrit-elle. « Il y a une raison pour laquelle mon père a voulu venir ici, cette lumière brûle encore », dit-elle, au sujet de son père, un chercheur spécialiste du cancer, d’origine indienne. « Il ne faut pas perdre espoir. »

Pendant ce temps, Karla Loeb me répond aussi. Stressée, inquiète, cette lobbyiste pour l’industrie éolienne, à Washington, me dit qu’elle est découragée par les femmes qui appuient Trump et qui ont encore clairement voté pour lui, malgré tout ce qu’il a fait avant et pendant sa présidence.

« Si Trump gagne et que les républicains gardent le contrôle du Sénat, alors les femmes auront trahi leur genre », m’écrit-elle. Elles auront appuyé le statu quo. « Le statu quo misogyne. »

J’écris, Biden est toujours en avance, mais pas assez pour que quiconque soit sûr de sa victoire. Et les textos de mes amies continuent d’arriver. Certains avec des mots qui ne se répètent pas ici.

« N’oublie pas d’écrire que notre système électoral ne marche pas ! », me texte Simran.

« Et que malgré tout, il reste encore du bon ! Et qu’on ne connaît pas encore tous les résultats. Et qu’il ne faut pas nous laisser tomber. »