Ainsi donc, Québec investira 100 millions de plus dans les services en santé mentale. L’annonce en a été faite lundi par le gouvernement Legault, au lendemain d’une tuerie qui a fait deux morts et cinq blessés dans le Vieux-Québec.

Il y a à la fois quelque chose de rassurant et de troublant dans cette annonce.

On le répète depuis des années : la santé mentale est le parent pauvre du système. On le répète, puis on l’oublie. Même si on sait que la maladie mentale finit par coûter beaucoup plus cher à la société lorsqu’elle n’est pas traitée, on fait comme si on ne le savait pas. On fait comme si c’était un luxe qu’on ne pouvait pas se permettre.

L’accès aux soins et aux services est un grave problème. Trop de gens hésitent à demander de l’aide. Et pour ceux qui le font, les obstacles sont nombreux. Trop souvent, ils se heurtent à un mur. À moins qu’ils soient suicidaires, on leur dit de patienter sur une liste d’attente. S’ils ont la chance d’être suivis, ils font trop souvent face au syndrome des « portes tournantes » que l’on dénonce depuis trop longtemps déjà. Certains meurent par suicide sans avoir eu les soins qui auraient pu leur sauver la vie.

Tout ça n’est malheureusement pas nouveau. Ça existait bien avant la pandémie. Je pense à la tragédie d’Oli, ce jeune homme de 19 ans, qui n’a jamais eu 20 ans, dont j’ai raconté l’histoire en 2018. Mort par suicide après 22 mois à espérer une prise en charge adéquate en santé mentale.

Je pense à tous les parents et proches endeuillés qui, à la mémoire de leurs oubliés, rappellent que la négligence en matière de santé mentale brise des vies et remuent ciel et terre pour que ça change. Je pense à tous ceux qui, en ce moment même, se heurtent à des listes d’attente interminables, inacceptables.

Pour toutes ces raisons et d’autres encore, on ne peut qu’applaudir le fait que le gouvernement reconnaisse enfin haut et fort qu’il s’agit d’un enjeu trop longtemps négligé et qu’il s’engage à réduire les listes d’attente. Cent millions, ça ne réglera pas tout, ça va de soi. Mais cela donne à espérer que l’on pourra à tout le moins faire mieux pour les patients oubliés.

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Ce qui est plus troublant, c’est que cette annonce conçue pour rassurer la population au lendemain d’une tuerie renforce involontairement la stigmatisation des personnes aux prises avec un trouble de santé mentale. Une stigmatisation qui fait partie du problème que l’on cherche à régler.

Le ministre Lionel Carmant a bien pris soin de préciser d’emblée que « la très grande majorité des personnes souffrant de troubles mentaux ne sont pas violentes ». Contrairement aux idées reçues à leur sujet, ces personnes risquent bien davantage d’être elles-mêmes victimes d’actes violents que de constituer un danger public.

« On se doit d’éviter les amalgames », a dit le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux.

Fort bien. Évitons-les. On ne le dira jamais assez. Malheureusement, en choisissant d’annoncer de nouveaux investissements en santé mentale au lendemain d’une nuit d’horreur, après une déclaration du maire Régis Labeaume qui, tout en en appelant à un débat de société sur la maladie mentale et la sécurité des villes, renforçait insidieusement l’amalgame « maladie mentale = violence », c’est comme si on disait une chose et son contraire. Non, il ne faut pas associer la maladie mentale aux actes de violence inouïe de la nuit de samedi. Mais c’est parce que ces actes de violence ont eu lieu que l’on devance notre annonce (qui devait être faite dans dix jours). Même si ceci est rarissime et n’a rien à voir avec cela… En dépit des bonnes intentions du gouvernement, voilà qui envoie à la population un message quelque peu confus.

Un Québécois sur cinq sera atteint d’une maladie mentale au cours de sa vie. Ça fait beaucoup de monde en détresse. Une détresse que la pandémie ne fait qu’aggraver.

Et ce qui est particulièrement inquiétant, c’est de savoir que près des deux tiers des personnes qui souffrent d’une maladie mentale ne vont pas chercher l’aide dont elles ont besoin. Parce qu’elles ont honte. Parce qu’elles ont intériorisé les préjugés liés à ces maladies. Parce qu’encore aujourd’hui, trop souvent, une personne aux prises avec des troubles de santé mentale n’est pas traitée avec les mêmes égards ni la même empathie qu’une personne aux prises avec une maladie physique. Parce que la façon même dont on aborde ces enjeux dans le discours public peut dissuader une personne souffrante d’aller chercher de l’aide.

Si les deux tiers des personnes atteintes d’un cancer avaient honte d’aller chercher les soins dont elles ont besoin, on ne tarderait pas à se dire que quelque chose ne tourne pas rond. On se dépêcherait de comprendre pourquoi il en est ainsi et veillerait à ce qu’elles soient soignées le plus rapidement possible. Pourquoi serait-ce différent pour des patients aux prises avec un trouble de santé mentale ?

Si vous ou un membre de votre famille avez des idées suicidaires, êtes en détresse ou endeuillés, vous pouvez appeler en tout temps au numéro suivant : 1 866 APPELLE (1 866 277-3553) ou consulter ce site web : https://suicideactionmontreal.org/