(Québec) « Je te porterai dans mon cœur […] Suzanne, je t’aime. » C’est le cœur en miettes, avec la voix cassée, que Jacques Fortin, conjoint de Suzanne Clermont, tuée samedi soir dans le Vieux-Québec, s’est adressé — à distance — aux centaines de personnes réunies devant chez lui pour honorer la mémoire de la défunte.

Le fils de M. Fortin, Julien, a ouvert son cellulaire devant la foule pour faire entendre la voix de son père, qui reçoit toujours des soins après avoir subi ce choc immense. « Prends soin de moi, continue de veiller sur moi », a-t-il lancé à son amoureuse.

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Julien Fortin, à droite.

Et pour ceux qui étaient présents : « Profitez des gens que vous aimez […], tout peut basculer », a-t-il prévenu, la gorge nouée. Avant d’ajouter : « Je vous aime tous et je vous serre dans mes bras. »

Suzanne Clermont, 61 ans, est sortie fumer une cigarette au mauvais moment, samedi tard en soirée. Le sort aura voulu qu’elle croise la route du meurtrier.

Elle a été attaquée au sabre.

François Duchesne, 56 ans, est lui aussi mort lors de cette chasse sordide aux passants, qui a également fait cinq blessés le soir de l’Halloween. Une veillée pour rendre hommage cette fois à M. Duchesne se tient mardi.

Devant le domicile de Mme Clermont, où le drame s’est joué, des centaines d’amis, voisins, clients — elle était coiffeuse — et simples inconnus ont veillé à la chandelle pendant de longues heures, bravant la froideur de novembre.

Le maire de Québec, Régis Labeaume, visiblement ému, est venu déposer une gerbe de fleurs sur le seuil de la porte rouge. La vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, s’est également recueillie pendant quelques minutes. Le président du Conseil du trésor et député fédéral de Québec, Jean-Yves Duclos, était aussi présent, notamment.

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Le maire de Québec Régis Labeaume était présent

« Vous êtes ici devant la maison du bonheur, c’est comme ça qu’on l’appelait », a résumé Julien Fortin, inconsolable, après les mots prononcés par son père.

Plusieurs résidants du voisinage nous ont décrit Mme Clermont comme une femme aimante, à l’écoute et d’une générosité remarquable.

« Elle était inclusive, rassembleuse », ont soutenu Yolande Dubé et Henriette Lalancette, deux amies de longue date. « De voir cette solidarité humaine, ça vient nous donner le courage de continuer. C’est ce qui me prend au cœur », a ajouté Mme Dubé.

Elle venait de remercier le maire Labeaume, qui était tout près, pour son « ton juste et humain, avec les bonnes nuances », depuis le drame.

Ce dernier n’a pu contenir ses larmes.

Québec, ciblé pour sa beauté ?

Un peu plus tôt lundi, le maire de Québec a posé l’hypothèse que la capitale a peut-être été ciblée pour sa beauté.

« C’est malicieusement fascinant ce qui s’est passé. Un individu avec un sabre qui s’attaquait aux gens vêtus de façon médiévale dans une ville historique à la limite du médiéval. C’est sûr que malheureusement, il y a une fascination pour ça », a dit M. Labeaume en conférence de presse, lundi.

Le suspect, un homme de 24 ans de la région montréalaise, a roulé deux heures pour venir semer la mort à Québec.

Dimanche soir, le maire s’est rendu sur les lieux des crimes. Ce « pèlerinage sinistre » s’est passé dans un quartier historique triste, vide.

Régis Labeaume s’est demandé si sa ville n’avait pas été choisie à cause de ses vieilles pierres, de son décor unique en Amérique du Nord. « Je m’en doutais tellement. Québec aurait pu être choisie, l’élue d’un drame, à cause de sa beauté. Sinistre », a écrit le maire sur Facebook, où il a fait le récit de sa randonnée dans le Vieux.

La capitale a été particulièrement touchée par des actes de violence dans les dernières années. L’attentat à la grande mosquée de Québec qui a fait 6 morts le 29 janvier 2017 a marqué les esprits. Plus récemment, deux garçons de 2 et 5 ans ont été tués à Wendake, à côté de Québec.

« N’en jetez plus, la cour est pleine », a imploré le maire.

Lundi, il a lancé un appel à la bienveillance. « Je demande à tous de se demander ce qu’ils peuvent faire de plus pour s’entraider. »

La veillée en mémoire de M. Duchesne est organisée par le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) mardi à 18 h devant le pavillon Pierre Lassonde. François Duchesne était un cadre du MNBAQ.

« Il n’y a pas de mots pour exprimer notre tristesse face à la perte d’un collègue et ami de la qualité de François Duchesne », a réagi lundi matin le directeur du Musée, Jean-Luc Murray. « Il y a mille et une manières de mourir et François ne méritait pas cette fin terrible et si violente. »

Des fleurs ont aussi été déposées près de la rue du Trésor, non loin du Château Frontenac, où il aurait été tué.