Un suspect arrêté mercredi par le FBI dans le cadre d’une opération de contre-espionnage a déclaré qu’un fonctionnaire du gouvernement chinois était installé au Canada pour coordonner une campagne d’intimidation clandestine visant des fugitifs qui ont quitté la Chine et se sont réfugiés en Amérique du Nord.

C’est ce qui ressort d’une déclaration sous serment déposée par un agent du FBI devant un tribunal en Californie et consultée par La Presse.

En septembre 2018, deux suspects se sont présentés devant la résidence d’un ancien responsable municipal chinois qui avait refait sa vie au New Jersey après avoir été accusé de corruption par les autorités du Parti communiste. Les hommes ont cogné « agressivement » à la porte. Ils ont essayé d’entrer de force, sans succès. Après avoir collé leur visage aux fenêtres, ils ont laissé une note rédigée en chinois.

« Si vous acceptez de revenir sur le continent et de passer 10 ans en prison, tout ira bien pour votre femme et vos enfants. Le sujet est clos ! », disait cette note.

PHOTO FOURNIE PAR LE DÉPARTEMENT DE LA JUSTICE DES ÉTATS-UNIS

La note laissée devant une résidence au New Jersey

Campagne de harcèlement

Selon le FBI, qui protège pour le moment l’identité de l’homme visé, les suspects dans cette affaire travaillaient pour le gouvernement chinois dans le cadre de l’opération Fox Hunt (chasse au renard), une initiative visant à rapatrier en Chine des personnes qui ont fui la justice.

La Chine décrit Fox Hunt comme une campagne anticorruption internationale visant à retrouver légitimement des criminels en fuite, notamment d’anciens hauts fonctionnaires ou des politiciens corrompus.

« Certaines personnes peuvent bien être recherchées relativement à des accusations criminelles traditionnelles, et peuvent même être coupables de ce dont elles sont accusées. Mais dans de nombreux cas, les personnes recherchées sont des opposants du secrétaire général du Parti communiste, Xi Jinping : adversaires politiques, dissidents et critiques. Et dans tous les cas, cette opération constitue une violation claire de la loi et des normes internationales », a répliqué en conférence de presse mercredi John C. Demers, secrétaire adjoint à la Justice pour les questions de sécurité nationale aux États-Unis.

Dans le cas de l’ancien responsable municipal réfugié au New Jersey, les suspects ont organisé une importante campagne de harcèlement, selon des documents judiciaires du FBI déposés en cour.

Ils ont suivi l’homme et sa femme, l’ont espionné, parfois peu subtilement, ont obtenu toutes sortes d’informations personnelles sur sa nouvelle vie, lui ont fait parvenir des messages menaçants sur sa famille restée en Chine.

À un certain moment, dans une démonstration de force, les suspects ont même fait venir aux États-Unis, sous bonne garde, le père âgé du fugitif, qu’ils ont fait passer pour un touriste. Ils ont emmené le vieil homme rencontrer son fils et lui demander de revenir en Chine, selon les enquêteurs.

Les suspects auraient aussi fait suivre la fille du couple et organisé une campagne de harcèlement contre cette dernière sur les réseaux sociaux. Certains des suspects venaient de Chine spécialement pour l’opération, d’autres étaient des résidents permanents américains d’origine chinoise, selon le FBI.

Un « lobbyiste » au Canada

Des accusations de complot en vue d’agir comme agent illégal pour un gouvernement étranger sur le sol américain ont été portées contre huit suspects, mercredi. Certains sont aussi accusés de complot en vue de harceler criminellement une personne.

C’est le cas de Rong Jing, un citoyen chinois de 38 ans qui avait le statut de résident permanent aux États-Unis et habitait la ville californienne de Rancho Cucamonga. La preuve contre lui repose sur des communications interceptées par le FBI entre lui et un détective privé américain qui devait l’aider à traquer ses cibles.

Rong Jing a expliqué à cet enquêteur que l’opération Fox Hunt visait plusieurs personnes aux États-Unis. Lui-même disait vouloir contribuer à la cause et recevoir une prime du Parti communiste en échange de son aide. Il disait avoir eu la chance de rencontrer un responsable gouvernemental chargé de coordonner la traque.

Rong Jing a expliqué qu’il y avait un groupe spécialisé de “lobbyistes” qui “persuadent des gens”. Rong Jing a décrit les lobbyistes comme des “fonctionnaires” qui étaient “envoyés de Chine”, qui utilisaient différentes identités et pouvaient personnifier différentes personnes en utilisant des visas de travail, plutôt que des visas de tourisme. Ces lobbyistes reçoivent un salaire.

Extrait du résumé de l’enquêteur du FBI

« Rong Jing prétendait avoir rencontré l’un de ces lobbyistes au Canada », poursuit le document.

Lorsque le gouvernement du Parti communiste chinois est aux trousses d’un fugitif à l’étranger, « il y a habituellement une équipe envoyée de Chine qui vient et repart, mais il y a aussi un membre de l’équipe qui est établi dans le pays hôte », aurait expliqué le suspect. Ce dernier n’a pas précisé le lieu de la rencontre avec ce coordonnateur au Canada ni son nom.

« Rumeurs et calomnies »

Le secrétaire adjoint John C. Demers a dénoncé ce recours par la Chine à des moyens « extralégaux, non autorisés et souvent clandestins ».

« Les escouades de rapatriement chinoises entrent aux États-Unis, surveillent et repèrent les fugitifs allégués, et déploient des tactiques d’intimidation pour les forcer à retourner en Chine », a-t-il déclaré.

Vendredi, l’ambassade de Chine au Canada a fait parvenir à La Presse une réaction du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Wang Wenbin. Ce dernier affirme que la Chine a coopéré avec « plus de 120 pays et régions » pour rapatrier des suspects de corruption ou d’autres crimes ces dernières années, dans le respect du droit international.

« À ce que je sache, les individus arrêtés récemment par les États-Unis ne sont pas des membres des agences d’application de la loi chinoises. Ces accusations ne sont que des rumeurs et des calomnies », a-t-il déclaré.