Diane Gascon a fait planter un érable de Norvège sur le terrain devant chez elle. C’était il y a 34 ans. C’était le genre de quartier neuf qui ne comptait à peu près aucun arbre mature.

Mme Gascon aime les arbres. Elle en a fait planter un dans sa cour, même si c’est un peu emmerdant avec la piscine, à cause des feuilles. Tant pis, dit-elle, les arbres, ça met de la vie…

PHOTO FOURNIE PAR DIANE GASCON

Tronc coupé de l’érable de Norvège que Diane Gascon avait planté sur son terrain en 1986

L’autre soir, Mme Gascon est revenue de son chalet dans le Nord. Elle s’est garée dans le garage ; c’est de là qu’elle est entrée dans sa maison. Le lendemain matin, elle regarde dehors : son érable de Norvège a disparu !

Il avait été coupé.

Son arbre, sur son terrain.

Diane Gascon était stupéfaite. Cet arbre-là a poussé en même temps que sa vie, que celle de sa famille. Elle a trouvé la réponse sur sa poignée de porte et dans sa haie, deux formulaires laissés par la Ville de Laval en son absence.

7 octobre : un premier formulaire annonçait que l’arbre « érable » « en façade » « sera abattu ». Puis, ces mots : « L’arbre appartient à la Ville, car il est situé sur l’emprise publique. »

11 octobre, autre formulaire : « Nous nous sommes présentés à votre domicile pour procéder à des travaux d’abattage » et « le bois sera ramassé dans les jours qui suivent ».

Pour toute justification pour la coupe d’un arbre mature de 34 ans, des cases cochées au crayon bleu.

Mme Gascon a d’abord pensé que son arbre avait été coupé parce qu’il était « sur l’emprise publique ». L’emprise quoi ? L’emprise publique : la bande de terrain collée sur la rue que l’on croit sienne, mais qui appartient à la Ville. Subtilité cadastrale…

Ça me semblait un peu fort de café pour justifier la coupe d’un arbre mature, ça, le fait que l’arbre était sur l’« emprise publique ». Mais c’est la conclusion à laquelle Mme Diane Gascon a sauté en voyant cette case cochée sur le carton qu’un fonctionnaire anonyme avait laissé à sa porte…

J’ai vérifié, j’ai parlé à la Ville de Laval.

La fonctionnaire des communications, au bout du fil, semblait à la fois amusée et excédée par mes questions. Voyons, Monsieur Lagacé, la Ville de Laval n’a pas l’habitude de couper des arbres pour le plaisir… L’arbre était malade, voilà pourquoi on l’a coupé.

Bon, je vivais en direct cette vieille joke de salle de rédaction : quand on prend la peine de vérifier les faits, les histoires se dégonflent…

Dans ma tête, j’entendais le bruit d’un ballon qui se dégonfle.

J’ai quand même demandé à voir le rapport d’inspection du technicien qui a conclu que l’arbre de Mme Gascon – sur le terrain de la Ville – était en phase terminale et qu’il devait être coupé.

C’est là que ça s’est gâché.

La fonctionnaire m’a dit qu’elle verrait ce qu’elle pouvait faire. Elle m’a demandé si Mme Gascon avait appelé le 311. J’ai dit que je passerais le message.

Vendredi dernier, la Ville de Laval a fait le suivi avec moi : on m’envoyait en accès à l’information pour avoir le document attestant que l’arbre était malade ! Le même jour, au téléphone, Mme Gascon s’est elle aussi fait dire d’aller en accès à l’information pour obtenir le rapport… que la fonctionnaire était en train de lui lire.

Je n’irai pas en accès à l’information pour obtenir un document que la Ville de Laval pourrait simplement et facilement sortir de ses cartons afin d’expliquer la coupe d’un arbre qui a attristé Mme Gascon, pour une raison bien simple : un arbre est plus que la somme de son tronc, de ses branches et de ses feuilles.

Quand la Ville m’a dit que l’arbre était malade, je me suis donc dit que je n’allais pas faire cette chronique. Mais quand la Ville de Laval a décidé de se la jouer procédurière, technique et avocassière en m’envoyant en accès à l’information, et en faisant de même avec Mme Gascon, j’ai eu un flash : c’est exactement la même approche qui a présidé à la coupe de l’arbre.

Mme Gascon m’a dit : « J’aurais voulu qu’on prenne le temps de me parler avant, que l’arbre soit sur leur emprise ou pas. Si l’arbre était malade, j’aurais voulu qu’on me le dise, qu’on me le montre. J’ai trouvé tout ça très cavalier, c’est un manque de respect… »

Cavalier : sans gêne, impertinent, désinvolte.

C’est ça, c’est exactement ça, les mots qui décrivent le comportement de la Ville de Laval dans la coupe de l’érable de Norvège de Diane Gascon : sans gêne, impertinent, désinvolte…

L’arbre est sur la mince bande du terrain qu’on appelle « emprise publique » ? On le coupe. On n’a rien à te dire, toi, la citoyenne, rien à justifier. C’est ton arbre, mais pas « ton » terrain, techniquement. En bon québécois, la Ville de Laval a fait sienne la devise d’un célèbre Gatinois : « J’ai l’doua ! »

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Et c’est ainsi qu’un dimanche matin, comme un voleur, la Ville est venue couper un arbre majestueux qui faisait partie de l’histoire de la famille de Diane Gascon depuis 34 ans. Tant pis, Madame, vous ne pourrez même pas prendre une dernière photo de l’érable que vous aviez planté en 1986. Pour les explications, pour les plaintes : appelez au 311, on va vous dire où trouver le formulaire…

Je comprends bien que l’« emprise publique » donne tous les droits aux villes. Mais je dis quand même : c’est pas une raison, c’est pas une raison pour se comporter comme des vandales, pour ne rien expliquer, juste parce que t’as le droit de le faire.

Bref, j’avais une histoire d’arbre coupé…

Mais l’histoire est ailleurs finalement, l’arbre de Diane Gascon cache cette forêt de vérité éternelle : il n’y a pas grand-chose de plus con que des fonctionnaires qui sont tellement collés sur les petites cases à remplir qu’ils ne voient plus le monde qui est derrière.