C’était un débat comme tous les autres débats, décevant.

Parenthèse : c’est quand même étonnant que tous les débats nous déçoivent. À force d’être déçues par autant de débats, nos attentes devraient être tellement basses que la déception ne devrait plus nous habiter. Pourtant, c’est toujours la même courbe émotionnelle. Avant : « Débat ! Débat ! Débat ! J’ai hâte au débat ! Faut pas manquer le débat ! C’est le débat de la dernière chance. Tout dépend du débat. Enfin, le débat ! » Après : « Quelle perte de temps ! Mauvais débat. Futile débat. Débat et des bas. Le débat ne change rien. Caca débat. » Fin de la parenthèse.

Donc, c’était un débat comme tous les autres débats. Un dialogue de sourds. Malheureusement, pas de muets. Ça parlait beaucoup, mais ça ne disait rien. Ça ne répondait surtout pas aux questions. Oh que non !

À un certain moment, le vice-président, Mike Pence, répétait qu’avec Biden, oubliez la loi et l’ordre, ce sera le chaos. Ben quin ! Kamala Harris, la candidate démocrate à la vice-présidence, l’écoutait. L’air découragé. C’est à cet instant précis qu’une mouche noire se posa sur la chevelure blanche de Pence. Un petit battement d’ailes pour l’insecte, un bond de géant pour l’insectarium.

PHOTO ERIC BARADAT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une mouche s’est posée sur la tête du vice-président des États-Unis, Mike Pence, lors du débat qui l’opposait à Kamala Harris, candidate démocrate à la vice-présidence, mercredi.

Des mouches, il y en a depuis toujours. L’été dernier, encore, plusieurs d’entre elles nous ont tourné autour. On les chasse d’un geste de la main. Certains les écrasent avec un journal. Les plus enragés, avec une tablette. Jamais on ne s’y attarde. Aussitôt arrivée dans nos vies, aussitôt sorties. Une mouche, ça flye. Ce n’est même pas un détail. C’est trop petit. Un rien qui vient, qui vole et qui s’en va.

Pas celle-là. Celle-là avait un autre destin. Un destin de star. En pleine lumière. Sous les projecteurs. Elle aurait pu se poser à l’ombre. Sur la tête d’un technicien. Sur le bureau de la modératrice qu’on voyait à peine. Elle aurait pu s’écraser bêtement dans le plexiglas qui séparait les deux adversaires. Plusieurs de ses semblables l’auraient fait.

Pas elle. Elle a choisi LE spot. Le seul endroit où l’on ne pouvait pas la manquer. Le seul endroit où l’infiniment petit pouvait devenir infiniment grand. Le seul endroit où une mouche pouvait être en gros plan.

Ça aurait été le président au lieu du vice-président, on l’aurait probablement moins remarquée. Noir sur orange, ça ne découpe pas autant. Avec tout le fixatif dans la chevelure présidentielle, elle serait sûrement morte comme dans une plaquette Vapona. Désintégrée sur-le-champ. Incinérée. Oubliée.

Pence a le poil parfait. Assez court pour ne pas s’y perdre. Assez long pour bien y adhérer. Pour rester au sommet. Comme sur un tapis moelleux. Il aurait été chauve, elle aurait pu glisser. Il aurait pu être agacé par ses pattes. Tandis que là, Pence ne sentait rien. Occupé à défendre le mandat du miraculé de la COVID-19, il n’a pas bronché. Alors la mouche est restée là. Et elle a eu ses deux minutes de gloire. Des millions et des millions d’êtres humains n’avaient d’yeux que pour elle.

Une mouche qui vole, il y en a plein. Une mouche qui vole le show, il n’y en a jamais eu.

À travers le plexi, Kamala aurait pu faire signe à son rival de se débarrasser de l’insecte. Un regard sur sa tignasse, un signe de la main, et le Vice aurait compris. Mais non. Harris a savouré le moment. Arrange-toi avec ton problème. Les petites bibittes ne mangent pas les grosses. Mais elles leur enlèvent de leur superbe.

Pendant deux minutes, Mike Pence n’était plus un aigle. Pendant deux minutes, Mike Pence était un pissenlit. Qu’une mouche butinait allègrement. Le politicien en faveur des armes d’assaut avait besoin d’une tapette à mouches. Ça replace l’ego.

Dans la mythologie grecque, quand les animaux interviennent dans la destinée des humains, c’est un signe, un présage. Que les sages oracles décodent.

Qu’est venue nous dire cette mouche ?

Qu’incarnait-elle ?

Les laissés pour compte de l’Amérique ? Ceux et celles qu’on écrase facilement, sans que personne ne s’en soucie. Ceux et celles qui n’ont aucun pouvoir. Sauf le jour de l’élection. Le jour de l’élection, le vote de la mouche vaut autant que celui de Bill Gates.

Pourquoi être intervenue durant un débat ? Est-ce un geste de révolte ? Pour se venger de tous ces débats où l’on ne fait qu’enculer des mouches. Assez, c’est assez ! Lâchez-nous le cul ! Du contenu, on veut du contenu !

On ne le saura jamais.

La mouche a quitté la tête du républicain et n’est jamais revenue.

Elle est partie trouver mieux. Probablement un pot de confitures.

Bon déjeuner ! Si une mouche vient se poser sur votre toast, demandez-lui ce qu’elle faisait mercredi dernier. Et surtout, laissez-la s’envoler. On ne sait jamais ce qui peut lui arriver.

Une mouche, ce n’est pas rien.