(Québec) Venu au micro lors d’un conseil national, un militant péquiste avait eu cette observation révélatrice. Les militants réunis ne devraient pas oublier qu’ils avaient déjà choisi le chef le plus pressé sur la route de la souveraineté, Pierre Karl Péladeau. Et après son départ, pour le remplacer, ils avaient élu le seul candidat qui promettait de ne pas tenir de référendum sur la souveraineté : Jean-François Lisée. Ce sera mercredi, le 7 octobre, le quatrième anniversaire de la victoire de Lisée. Et jeudi dernier, c’était le deuxième anniversaire de la pire défaite du Parti québécois (PQ), ramené à seulement neuf sièges. Le slalom idéologique ne vous emporte pas seulement de gauche à droite, mais aussi de haut en bas.

Vendredi prochain, les péquistes auront choisi leur prochain chef. L’affaire sera pliée rapidement ; résultats et discours de circonstance, tout devrait être réglé pour 20 h, même si l’organisation a reçu un coup très dur dans les dernières heures. Principal responsable de l’organisation du scrutin, le permanent Stéphane Jolicœur est mort en fin de semaine, à 50 ans, emporté par la COVID-19, croit-on.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Paul St-Pierre Plamondon, candidat à la course à la direction du Parti québécois

Dans les coulisses péquistes, on fait des conjectures sur l’issue du vote — avec un peu plus de 35 000 membres, le PQ a perdu près de la moitié de ses effectifs depuis la course qui avait donné la victoire à Jean-François Lisée. Environ 5000 personnes ont adhéré au parti au cours de la course à la direction, un résultat bien modeste si on se souvient des 40 000 nouveaux membres qu’avait à lui seul recrutés André Boisclair quand il avait gagné la course de 2005 pour la direction du PQ — le parti comptait 130 000 membres à l’époque. Cette fois, il est vrai, pas besoin d’être membre en règle pour pouvoir voter cette semaine.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Sylvain Gaudreault, député de Jonquière et candidat à la direction du Parti québécois

Au PQ, les parieurs croient que le vétéran Sylvain Gaudreault sera celui qui aura le plus d’appuis au premier tour. Son fonds de commerce reste les collègues députés, bien des permanents et des vétérans du parti, pour qui il représente une valeur sûre. Obtenir plus de 50 % des voix dans une course à quatre candidats serait tout un défi — Lisée y était presque parvenu en 2016. Mais cette avance pourrait bien être éphémère. Il suffit de se rappeler la course toute récente des conservateurs fédéraux : Peter MacKay avait d’abord fini premier, mais il avait fait le plein de ses appuis. D’abord deuxième, Erin O’Toole l’a finalement coiffé au fil d’arrivée, avec l’appui des supporters des deux autres candidats éliminés.

Ici, les partisans de Paul St-Pierre Plamondon, Guy Nantel ou Frédéric Bastien ont une chose en commun : ils favorisent un nouveau visage, dût-il rester plusieurs mois sans circonscription, en marge de l’Assemblée nationale. Ils n’iront pas rejoindre le camp Gaudreault.

Qui sera deuxième ? Ici, beaucoup de conjectures, mais on observe que Paul St-Pierre Plamondon, celui qui a eu le plus de contributeurs à sa caisse, a la campagne la plus visible sur les réseaux sociaux. Il a l’air « partout tout le temps », résume-t-on. Un sondage Léger, mené du 17 au 21 septembre auprès de 1002 membres et sympathisants péquistes, laisse entrevoir cette lutte au coude à coude entre les deux candidats — Gaudreault récolterait 31 % d’appuis, chauffé de près par St-Pierre Plamondon, avec 26 %.

Aux côtés du terne Gaudreault, le jeune avocat paraît plus dynamique, mais son parcours sinueux au cours des dernières années fait grincer des dents chez les vétérans péquistes. Bien sûr, de gros canons comme Lucien Bouchard et Louis Bernard, le bras droit de Jacques Parizeau, ont contribué le maximum, 500 $, à la campagne de St-Pierre Plamondon. Mais dans la liste des contributeurs importants, de plus de 350 $, on retrouve 18 personnes qui ont aussi financé des partis « fédéralistes » — les libéraux fédéraux ou provinciaux, notamment. St-Pierre Plamondon a déjà eu des amis au Parti libéral du Canada ; il faisait partie du groupe Génération d’idées avec Mélanie Joly, en 2010, et était l’un des invités au mariage d’Alexandre (Sacha) Trudeau, le frère de Justin, en 2009.

« Orphelin politique »

Sur la question de la souveraineté, St-Pierre Plamondon a évolué, diront ses partisans, et s’est contredit, affirment ses adversaires. Au tout début de la course, il avait écrit que « la seule manière pour le PQ de reprendre le pouvoir, c’est de réhabiliter la légitimité et l’enthousiasme de l’idée d’indépendance. Cela implique d’en parler sans détour », a-t-il soutenu, relevant actuellement « une réserve inexploitée d’énergie en faveur du pays au Québec ».

En 2014, St-Pierre Plamondon s’était déclaré « orphelin politique » malgré la présence à l’Assemblée nationale du parti qu’il ambitionne aujourd’hui de diriger. Durant cette période, il a critiqué à plusieurs reprises « l’obsession péquiste d’un prochain référendum » ou « l’omniprésence du thème de la souveraineté ». Pour lui, le débat sur la souveraineté était « un trou noir » qui engloutissait toutes les autres propositions politiques progressistes.

Dans la course à la direction du PQ de 2016, où il avait terminé dernier avec 6,84 % des votes, St-Pierre Plamondon n’était pas pressé de marcher sur la route de la souveraineté — il fixait à un second mandat ce rendez-vous avec les électeurs, avec au surplus un passage obligé, puisque 20 % des électeurs devraient, dans un registre, se déclarer en faveur d’une telle consultation. Peu avant de se lancer dans la course, Paul St-Pierre Plamondon s’apprêtait « à lancer un mouvement politique voué à devenir un parti en bonne et due forme » en proposant « un projet plus rassembleur que l’indépendance du Québec », expliquait-il dans une entrevue au Devoir. Un premier rassemblement devait avoir lieu le 19 avril 2016, à Montréal.

D’autres contradictions… ou évolutions ? Jean-François Lisée lui avait confié le mandat de faire le point sur l’état du PQ, qui comptait 89 000 membres en janvier 2017, dont les deux tiers avaient plus de 55 ans, relevait le jeune « conseiller spécial au renouvellement » dans son rapport. Dans « Osez repenser le PQ », il soutenait que le PQ, un ancien parti « réformiste et inventif », était devenu un parti « figé, conservateur et vieillissant ».

St-Pierre Plamondon invitait alors la direction du parti à mettre au rancart « tout le matériel nostalgique », au premier chef les affiches référendaires de 1995 — « Oui et ça devient possible » — que le parti avait récemment rééditées pour diffusion auprès des membres.

« Ce n’est pas un souverainiste de naissance, mais un converti », a écrit le chroniqueur Mathieu Bock-Côté, au tout début de la course.

« Osez repenser le PQ » était plutôt timide sur la question identitaire, soulignait à larges traits l’importance d’ouvrir ses instances et ses postes aux néo-Québécois. Le PQ devait prendre acte de l’augmentation du nombre de citoyens aux racines étrangères. Un virage pour le PQ qui avait défendu la Charte des valeurs sous Pauline Marois. Le rapport était bien loin des positions récentes de St-Pierre Plamondon. Ce dernier propose de ramener à entre 35 000 et 40 000 les seuils d’immigration — le gouvernement de la Coalition avenir Québec envisageait jusqu’à 44 500 en 2020, dans son plan d’immigration.

St-Pierre Plamondon observait que les jeunes péquistes n’avaient que « peu d’intérêt pour le débat sur les signes religieux ». « L’identité québécoise, si elle se limite à rimer avec laïcité, ne soulève aucun intérêt au sein de ce groupe d’âge », écrivait-il aussi. Dans le débat avec les autres candidats, le mois dernier, il se disait toutefois ouvert au financement des groupes pro-laïcité qui demandent l’appui financier des gouvernements pour défendre leur point de vue en cour. Dans la course de 2016, quelques mois avant son rapport, il avait pris une position plus tranchante sur la question identitaire et préconisait l’interdiction du voile intégral dans tout l’espace public. « On doit poser des gestes pour s’assurer qu’il y a un vivre ensemble », disait-il.

Mais St-Pierre Plamondon n’a pas le monopole des contradictions ; avant de se lancer en politique, l’humoriste Guy Nantel avait publié un livre : Je me souviens… de rien. Il y proposait de donner à l’anglais le statut de langue nationale minoritaire — actuellement, seul le français est langue nationale. Il jugeait bon de permettre l’affichage public dans une autre langue que le français. Même le drapeau d’un Québec souverain devrait comporter « un symbole anglais » pour tenir compte de la minorité, pensait alors M. Nantel.